Il y a peu de sports aussi passionnants et télégéniques que le tennis: à chaque fois c’est la même chose, on se dit qu’on ne va pas se laisser tenter plus de 5 minutes (c’est qu’on n’a pas que ça à faire) et puis en plus c’est couru d’avance, on sait qui va gagner, de toute façon on ne connaît plus trop les joueurs alors ça ne nous intéresse plus trop.


Et puis il suffit d’un revirement, d’un break débreaké, d’un géant qui semble vaciller, d’un petit qui se sent pousser des ailes, du régional de l’étape qui communie avec son public, du joueur imbuvable, de la joueuse jolie et douée, de la joueuse tout en muscle et efficacité, de quelques points de haute volée….
Il y a 1001 bonnes raisons d’aimer le tennis, et chaque match - ou presque - offre de beaux moments et tient le public en haleine.


Et pourtant a priori ce ne sont que deux gugusses qui échangent des balles au dessus d’un filet. Mais c’est beaucoup plus que ça, c’est un sport qui exige d’avoir un mental aussi fort que ses muscles.
On aime tant la prouesse technique et physique que le combat mental. On scrute la moindre expression de désespoir, le moindre sursaut d'orgueil. Les caméras ne s’y trompent pas et nous aident à satisfaire notre appétit de voyeur.
On espère toujours que celui qui est mené trouvera un second souffle, on est déçu quand ce n’est pas le cas et qu’il n’y a pas de match.


Dans quelques heures c’est la finale de la coupe Davis et je me rappelle toujours avec émotion d’un Arnaud Boetsch délivré et pétri de crampes, c’est l’un de mes meilleurs souvenirs de sport vécu derrière un écran.


Par contre de Borg et Mc Enroe je ne connaissais que la réputation, et la dévotion qu’ils suscitent chez ceux qui ont vécu à l’époque et qui évoquent ces deux gladiateurs des temps modernes (mais déjà légèrement anciens).
Des deux monstres je connaissais surtout les frasques de Mc Enroe, parce que c’est plus télégénique qu’un palmarès.
Me voilà maintenant à peu près au fait de leurs exploits.


Le film Borg/Mc Enroe revient sur LA rencontre entre les deux joueurs à Wimbledon en 1980.
A l’époque Borg est en route pour son 5ème titre, et l’américain John McEnroe est pressenti comme étant son pire ennemi: il est son antithèse sur à peu près tous les terrains.
Face à la maîtrise et à l’impassibilité du suédois, le nouveau venu est une boule de nerf, doté d’un toucher de balle génial mais aussi d’un caractère explosif particulièrement vis à vis de l’arbitrage et du public.
C’est la rencontre du gendre idéal et du bad boy.


Quand on n’a pas la chance d’avoir vécu à l’époque, difficile de se rendre compte de la situation, et le film remédie à cette lacune en remettant dans le contexte simplement.
On suit davantage Borg, et sa préparation d’horloge suisse, ses superstitions, son attention sur tous les détails, son travail.
Une hygiène de tous les instants qui vise à masquer les failles psychologique, et l’angoisse qui grondent sous la montagne d’impassibilité.
Les flash back permettent de rapprocher les deux héros, de casser un peu l’iceBorg.
L’apprentissage du jeune Bjorn montre un gamin aussi têtu et capricieux que McEnroe: on en vient à se demander s’ils n’ont pas fusionné.
Et puis de l’autre côté, on voit le petit John qui admire le suédois dont il copie le style dans sa chambre. C’est d’autant plus surprenant qu’en vérité ils n’ont que 3 ou 4 ans d’écart, mais Borg a commencé sa carrière prématurément.
Si le procédé du flash back n’est pas novateur dans un biopic, ici il a le mérite de mettre en avant l’angle d’attaque du film: les deux champions sont plus proches qu’on ne le croit.


Revenir sur le passé pour aider à comprendre le bloc Borg, montrer ses fêlures, le poids de l’histoire, ça n’atténue pas l’aura du champion, au contraire ça renforce notre admiration.
Il est monstrueux mais au fond ça reste quelqu’un d’humain, quelqu’un qui souffre.
Cet aspect fait échos à ce qu’on peut connaitre du sport de haut niveau,à ces gosses trop doués projetés très tôt dans l’arène qui doivent gérer une pression de plus en plus forte jusqu’à la rupture.


A l’opposé, McEnroe a droit à un traitement moins approfondis, mais ce qui ressort avant tout c’est sa solitude: pas de mécanique bien huilée, pas de préparation millimétrée, tout est dans la tête, tout est prêt à exploser.
En évitant de le montrer trop, le film slalome et évite aussi de multiplier les scènes de fête, par contre on ne le voit jamais s'entraîner, et on aurait aimé au moins quelques secondes.
Les colères du champion, on ne les explique pas, on les montre pour faire comprendre son image, ce qu’il représentait et comment le public le percevait : mal.
La pression est différente mais présente des deux côté, et le film arrive à faire monter la tension pour arriver au point d’orgue.
.
On peut reprocher au réalisateur d’être plus distant sur son traitement de l'américain qu’on voit moins, mais peut être est-ce justement parce qu’il y a moins à montrer qu’on ne connaîtrait déjà, ou par manque de sources.
Mc Enroe a surtout l’air seul face à une équipe (même si elle se résume à 3 personnes).
C’est comme si une herbe folle se retrouvait face à une plante à laquelle on aurait adossé un tuteur: ça n’empêche pas l’herbe sauvage de pousser, et parfois d’égaler celle qui est plus soignée.


Le film avance petit à petit et on n’arrive pas à ne pas être fasciné par des acteurs parfaits dans leur rôles et diablement ressemblants, des deux côtés du filet.
Surtout, on n’en revient pas que Shia Laboeuf nous revienne aussi grand, et on apprécie le soin apporté aux images et la fidélité à l’original..


Et puis vient l’instant du match, et l’appréhension d’assister à un mauvais remake, de voir s’effriter la magie qui avait été créée jusque là.
La beauté du sport, c’est son immédiateté, et c’est la force déployée par les joueurs: évidemment le film biaise, on ne voit pas toujours la tête de celui qui joue, on imagine que ce qu’on nous montre n’est que la pâle copie des vrais points échangés.
Mais ça marche: le rythme du match est bien retranscrit, les moments clés expliqués, même pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas le tennis.
Le procédé de narration est simple mais efficace: à chaque rebondissement on revient en tribune presse et il se trouve toujours un présentateur pour expliquer ce qu’est un Tie Break ou ce que signifie tel ou tel point.
Le suspens des balles de match est haletant, et on a vaguement l’impression de pouvoir deviner ce que les spectateurs ont vécu à ce moment.


On pourrait reprocher au film de se mettre en place lentement, d’avoir une musique oubliable, de ne pas écorner les champions, mais au moins il offre un regard sur les débuts des tennismen superstar, sur la médiatisation et sur les attentes qui vont avec: celles du public, celles des sponsors, celle de l’entourage, et celle qu’on s’inflige quand on ne se donne pas le droit de perdre.
Le carton final qui rappelle que Borg a arrêté sa carrière à 26 ans nous pousse à croire que ce n’est pas une exagération de cinéaste.


Une fois le film achevé on a un seul regret, être né trop tard pour avoir eu la chance de vivre ce moment de sport. (c’est bien la première fois que je regrette de ne pas être plus âgée).
Ce film, c’est de la balle (contrairement à cette expression ringarde depuis des lustres).

iori
7
Écrit par

Créée

le 23 nov. 2017

Critique lue 434 fois

3 j'aime

2 commentaires

iori

Écrit par

Critique lue 434 fois

3
2

D'autres avis sur Borg/McEnroe

Borg/McEnroe
SBoisse
7

Une balle à la fois ou le pacte avec le diable

J’y étais. Du moins devant la télé avec papa. Un beau dimanche du mois de juillet. Toute une après-midi sans sortir de la maison. Un pur bonheur. Je n’avais pas vu le temps passé. Ces stars me...

le 10 mars 2020

20 j'aime

4

Borg/McEnroe
EsopatPauchet
7

Wimbledon 1980

J'avais 16 ans, j'en pinçais pour Borg, j'avais regardé le match avec mon père (enfin, nous étions réunis pour une même cause...) Je me souviens toujours de l'intensité de ce match, mais j'avais...

le 14 déc. 2018

13 j'aime

2

Borg/McEnroe
Gandalf13
8

Un volcan intérieur

Sans égaler l'excellence inégalable du duel entre Lauda et Hunt narré dans le fantastique "Rush", ce "Borg/McEnroe" se situe dans le haut du filet sans aucun doute. Je lui reprocherai un manque de...

le 16 janv. 2020

13 j'aime

3

Du même critique

Adults in the Room
iori
8

La dette qui avait trop de Grèce (ou l’inverse)

Voici un film qui illustre parfaitement une certaine idée du cinéma, celle qui permet à des orfèvres de s’emparer de sujets politiques difficiles, abscons et d’en donner une interprétation qui permet...

Par

le 24 oct. 2019

31 j'aime

Jalouse
iori
7

Le cas-Viard

Comme quoi c’est possible de faire une comédie qui force le trait sans tomber dans la danyboonite aigüe (une maladie de la même famille que la kev'adamsite ou la franckdubosquite). Karine Viard...

Par

le 14 sept. 2017

27 j'aime

9

Les Cowboys
iori
8

Kelly watch the stars

François Damiens dans un film qui s’intitule “les cowboys”, où il incarne un père de famille fan de country dans les années 90. Voilà une base qui donne envie. Envie de fuir bien loin. Sauf que ça se...

Par

le 18 nov. 2015

24 j'aime

7