Salomé, quelle femme ! La princesse amoureuse d'un saint homme. Elle fait la danse des sept voiles : il la rejette. Alors, elle réclame sa tête sur un plateau doré. Une fois chose faite, elle s'en saisit et embrasse ses lèvres froides et mortes...
Inspirée par le personnage de l'Ancien Testament, voici la version moderne que nous livre Norma Desmond (magistrale Gloria Swanson), riche et ancienne star hollywoodienne du muet, qui voit là l'occasion d'interpréter un futur rôle et d'assurer son grand retour dans le Septième Art. Le choix de ce personnage biblique par le réalisateur n'est d'ailleurs pas anodin, car il vient largement faire échos au tragique destin de sa protagoniste.
La première fois que l'on rencontre Norma Desmond, c'est à l'occasion de l'enterrement de son bien-aimé chimpanzé; événement auquel le personnage principal, Joe Gillis (interprété par William Holden), se rend par erreur. On rencontre alors une femme orgueilleuse, histrionique, théâtralisant le moindre de ses gestes et vivant seule avec son majordome allemand, Max, dans un palais encombré de babioles, qu'elle ne quitte jamais. Mais malgré son apparente froideur et son arrogance, grâce notamment au superbe jeu de Gloria Swanson, on ne peut s'empêcher de déceler chez elle une certaine fragilité, une peur du présent et du monde extérieur, la crainte tout simplement de ne pas être aimée des autres, qui nous la rend inévitablement sympathique (ou pathétique).
On la comprend dans sa solitude et sa folie, Billy Wilder parvenant à insuffler jusqu'au spectateur lui-même ce sentiment d'enfermement, palpable au sein de ce Palais dont chaque personnage est captif. La plupart des scènes se jouant d'ailleurs en intérieur, où l'on revient sans arrêt vers la porte d'entrée de la demeure. Cette fameuse grille en fer forgé, à travers laquelle se tournent bon nombre de plans, comme à travers les barreaux d'une prison dorée. On se retrouve donc coincés dans ce lieu étrange, peuplé de bizarreries et autres vieilleries démodées, étouffés également par l'omniprésence de la maîtresse de maison, à travers notamment la présence de centaines de portraits, disposés partout comme des trophées. C'est à peine si on ne peut pas sentir l'odeur du renfermé et de la poussière accumulée...
Mais au-delà de la finesse de la psychologie du personnage de Norma Desmond et le ressenti procuré au spectateur, il est une autre qualité du film que je n'ai pas encore mentionnée : la qualité de la voix off. Celle de Wiliam Holden en fait, qui nous conte sa propre histoire dans un flash-back, en remontant de sa mort à ses derniers jours dans le but que le spectateur puisse "connaître les faits, toute la vérité". Cette voix off permet surtout de faire exister un personnage qui sans ce procédé se verrait vite occulté par l'ombre du jeu grandiloquent de Gloria Swanson. Ainsi, malgré sa personnalité discrète et ambiguë, Wiliam Holden parvient à donner au film toute son âme et son côté décalé, sarcastique. En outre, le fait que le spectateur soit informé d'emblée de sa mort, vient encore renforcer le côté "rien à perdre" et désillusionné du personnage.
Et quel final ! Lorsque Norma, aveuglée par ses illusions de grandeur et d'omnipotence, renoue avec les caméras et concrétise finalement son vieux rêve, mais d'une façon pour le moins inattendue.
Un dernier mot sur le titre également, tellement poétique. Qui procure à ce film noir son atmosphère si particulière : tragique, nostalgique et fantomatique, comme si toute l’œuvre était vue au travers d'un filtre composé des couleurs flamboyantes et sauvages d'un crépuscule à la fin de l'été.
Un subtil chef d’œuvre en somme, entre fiction et réalisme, où le rire n'est jamais très loin des larmes.