Manipuler le temps et le laisser nous manipuler en retour.
Boyhood est un film vivant. C'est une création qui s'est construite dans le temps, sans avoir la deadline qui effraie tant les cinéastes, qui les contraint de boucler dans les temps et de livrer le film (le produit) pour une sortie en salles définies au mieux. Ici, Richard Linklater s'est offert le luxe de s'affranchir du temps, tout en étant dépendant de ce dernier. Le réalisateur n'avait pas l'opportunité de retourner ses scènes faites des années auparavant pour changer le tournure dramatique de son histoire ou modifier un aspect en particulier. Il a du composer avec ce que la vie lui apportait. La liberté de créer dans le temps, de penser, de modeler son oeuvre dans la durée, sans avoir la possibilité de corriger, de changer ce qui fut fait avant. Un jeu avec le temps, un artiste défiant la création.
C'est un cas unique dans l'histoire du cinéma et il n'y a pas à dire si le pari est réussi ou non car Boyhood est une oeuvre d'art qui ne saurait être jugée aussi simplement. Elle a sa propre vie, sa propre respiration, son propre tempo... Ce qui est terriblement excitant, c'est que l'imprévu est forcément au rendez-vous, si Linklater a défini le déroulement central des évènements, il ne pouvait prévoir une quantité d'accidents de la vie (un acteur aurait pu décéder en route, ou tomber gravement malade). Malgré le contrôle de son créateur, l'oeuvre a donc quelque part sa vie propre, son indépendance. Le rapport entre l'artiste et son oeuvre est ici un cas tout à fait passionnant. Linklater travaille le temps comme une matière, comme un sculpteur travaillerait l'argile. Il le façonne, lui donne la direction qu'il veut, mais il ne peut contrôler les aléas de la vie et c'est de ça dont il veut nous parler : quelque soit notre enfance, notre parcours, nos relations, nos déménagements, qui peut savoir où nous saurons, les rencontres que nous ferons, les personnages que nous fréquenteront, les décisions que nous prendront dans l'avenir ? Vivre avec les imperfections du temps.
Linklater focalise sa caméra sur un jeune garçon de ses 6 ans jusqu'à ses 18 ans, une période longue et fondatrice dans la vie de chacun. Et ce qui est intéressant, c'est qu'à certains moments le spectateur se sentira particulièrement connecté aux ressentis , à ce que vit le jeune garçon, alors qu'à d'autres, il pourra éprouver du détachement, voire de l'indifférence. Nous établissons nos propres connexions à ce que vit Mason.
Linklater ouvre une fenêtre sur la vie d'un être humain, à nous de nous y engouffrer ou non, à nous d'y trouver, d'y voir, d'y chercher des éléments qui nous parleront, nous sembleront intimes.
Le film a ses limites et ses imperfections car tout ne peut pas être montrés, tout ne peut pas être dit. Nous ne voyons que l'essentiel, sans rentrer dans d'infimes détails. Nous ne voyons pas de grandes réunions de famille, pas de vacances, de sorties scolaires. Les personnages à l'extérieur de la cellule familiale sont quasiment inexistants. Nous ne rencontrons jamais les voisins par exemple, les collègues, etc. Les autres n'ont pas vraiment la parole, Linklater ayant tenu à se focaliser sur le regard de Mason et ce qu'il nous renvoie du monde.
Il est beau, il est sublime ce jeu simple et, en fait si complexe, (ou l'inverse) de Linklater avec le temps, avec la vie. Il nous a offert une tranche de vie et, certainement, que certains d'entre nous continueront de temps en temps en pensée la vie de Mason, savoir où il va et comment il se porte...
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