Brazil, when stars were entertaining June...



Quelque part dans le temps et dans l'espace. Des citoyens modèles qui ne pensent pas, dans un pays qui de toute façon ne leur demande rien. Dans un XXe siècle qui n'a pas existé. Quoique... Sur un continent que l'on ignore. Même si... Vision cauchemardesque de ce qui nous attend et de ce qui est arrivé. Monde où les tonnes de paperasses asphyxient l'administré, tel Tuttle dans le mirage final.


Comment décrire Brazil ? Comment en parler même ? Un chef-d’œuvre. C'est trop facile. Un bonheur et une attention différente au discours, à chaque fois que je le revois. C'est mieux mais un peu court. Un mélange du monde d'Orwell mâtiné de l'humour coriace des Monty Python.


Bien sûr on pourrait parler de la légende. Comme tout grand film. Comme beaucoup de ceux de Gilliam. Celle du combat acharné entre producteur et réalisateur. La lutte entre fin hollywoodienne contre fin orwellienne. Comme pour Blade Runner... Mais c'est bien peu. Presque banal. Ce que ce film n'est pas


Si aucun film d'anticipation peut s'affranchir de l'influence de 1984, Brazil y puise sa matière première. Les héros de l'anticipation sont rarement des héros valeureux. Le destin les place au mauvaise endroit, ou les oblige à suivre un chemin menant irrémédiablement au porte-à-faux puis à l'opposition. Ici, Lowry est un clone de Winston Smith, bureaucrate sans talent, sans motivation, sans ambition, qui par amour, s'écartera de la voie balisée. La ville est grise, le travail inintéressant, la vie déshumanisée, la matière métallisée. Les rêves comme seul échappatoire. Être Icare, entre stratus et ciel bleu, et trouver sa Pénélope derrière un cumulus. Être son chevalier Bayard. La sauver des forces obscures. En avoir le courage. Plus facile en rêve ou assis devant son canapé, que sous un régime autoritaire. Mais grâce à l'amour, pour ne pas dire à cause, le rêve transpire dans la quotidienneté. Au milieu de ses formulaires, le bon fonctionnaire aperçoit le reflet de son idylle. Il se met alors à lire ce qu'il classe, à comprendre ce qu'il signe. Mieux que papy Papon.


L'amour rend fou. On le sait. Il transcende les volontés. Si la détermination même décuplée de Lowry reste mesurable (avec un double décimètre) il suit sa promise. Ils se mettent en cavale. Car quoi d'autre que la fuite, quand le système est si bien implanté que tout le monde le trouve sain. Il y a la loi, et la loi d'exception. La loi qu'on applique à tous, et celle que l'on applique aux opposants. Terroriser les terroristes, quoi de plus normal. La loi du Talion. Mais nul ne peut se cacher bien longtemps. Les espions savent tout. "Ne suspectez pas vos amis, dénoncez les !" dit une affiche dans la rue. Quand la délation est une marque de civisme contre ceux qui profitent des largesses de la société, on peut être sur que la Nation est bien gardée. Jean Moulin, avant d'être torturé par la Gestapo allemande, a été dénoncé par un Français ayant fait son devoir.


Brazil est donc un film noir, ténébreux même. Régime stalinien, administration courtelinesque, société vieillissante et chirurgicale, adhésion de la population par la peur, individualisation du monde... D'autant plus terrible que rien n'est vraiment imaginé. Et au milieu de ça, Gilliam se joue du spectateur en y glissant le comique. Car ce film est aussi une comédie. Lowry ressemble à Laurel. Une simplicité qui fait son charme, une naïveté qui le rend pathétique, une gaucherie qui le mène au danger. Mais alors que chez Kusturica la mixtion du burlesque et de la noirceur est difficile, ici le sourire rend plus atroce encore la désolation, à l'instar de cette musique entêtante dont les notes donnent le sourire, dont les paroles rendent amer.


Si l'image a vieilli, le propos reste actuel. Bureaucratie omniprésente, société à deux vitesses, système politique construit sur la peur de l'autre... Rien ici n'est farfelu. Bien sûr nos sociétés ne prônent pas l'élimination des dissidents, même si la Tchétchénie est proche, ni la torture systématique, alors que les images d'Abou Ghraib restent présent dans les esprits. Mais ne voyons pas le malin si loin de l'Europe. En France l'apologie de la torture n'a pas coûté son honneur et sa légion au général Aussaresse. Les manifestations anti-G8 sont meurtrières à Gênes. La carte d'identité belge pactise avec Microsoft...


La science-fiction est la philosophie du XXe siècle parait-il. Les Lumières modernes dressent le portrait d'un avenir pas si lointain que cela, pour faire prendre conscience du présent. Asimov ou Clarke, Spielberg ou Gilliam, le message est politique. Pas un coup de poing dans la gueule comme Moore, dont l'hématome guéri presque aussi vite que la digestion d'un MacDo, mais des idées, insidieuses, subliminales, qui ne font pas réagir tout le monde, mais éclairent quelques uns.

Florent_L_
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le 22 sept. 2015

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