"Brendan et le Secret de Kells" est un projet particulier dans la mesure où sa production et sa mise en chantier ont résulté de la collaboration entre des acteurs issus de différents pays européens. Néanmoins, au vu du contexte dans lequel l'histoire s’inscrit et de l'imaginaire mis en valeur, cette œuvre reste indissociable de la personnalité de ses principaux auteurs, ainsi que de la culture celtique qui continue d'imprégner l'Irlande de nos jours.
Malgré une sortie relativement confidentielle, le film a bénéficié d'un réel succès d'estime et s'est fait connaître entre autres suite à sa nomination à la cérémonie des Oscars étasuniens pour l’année 2010, lançant ainsi la carrière du réalisateur Tomm Moore, qui s'est distingué depuis avec des longs métrages tels que "Le Chant de la mer" ou "Le Peuple Loup".


Le récit prend place dans ce pays qu'on nommait autrefois Erin, à l'abbaye de Kells durant l'ère médiévale, lors des raids vikings. Le spectateur n'aura toutefois guère plus de précision vis-à-vis de cette époque reculée dans la mesure où l'histoire tient davantage du conte que d'une fidèle retranscription des événements passés, ce qui lui confère une certaine universalité.
C'est sans doute la raison pour laquelle, malgré le contexte et le lieu au sein duquel se déroule l'essentiel de l'intrigue, les références à la religion chrétienne, par delà son iconographie, sont pratiquement absentes du film. Ce dernier ne porte en vérité pas tant sur la question spirituelle que la primauté de l'art.


L'abbaye se voit menacée par les invasions vikings et c'est pourquoi les moines qui y résident s'attellent à la construction d'un mur afin de s'en protéger, sous la supervision du rigide abbé Cellach, au point que l'érection de cette barrière ait viré dans son esprit à l'obsession.
Cette situation initiale n'est pas sans rappeler à certains égards les romans de l'écrivain britannique Brian Jacques et leur adaptation à travers la série télévisée "Rougemuraille", centrée sur une abbaye peuplée d'animaux anthropomorphisés et confrontés à de multiples périls.


Le neveu de Cellach, Brendan, est contraint, en tant qu'apprenti moine, de vivre sous sa férule et supporter son autorité. Sa vie va cependant changer avec l'arrivée du frère Aidan, grand enlumineur originaire de l'île d'Iona et venu se réfugier à Kells, qui va l’initier à cet art et lui ouvrir les portes de l'imagination. Escorté d'un chat au pelage blanc et répondant au doux nom de Pangur Ban, ce qui est d'ailleurs une référence explicite à un poème monastique du IXème siècle, Aidan a ramené avec lui le livre d'Iona, chef d'oeuvre illustré par Saint Colomba, le plus célèbre des enlumineurs.
Il est à noter que l'ouvrage de Kells a réellement existé et a bien été un temps conservé au sein de cette abbaye. Bien qu'il soit une œuvre inachevée, ce manuscrit illustré de multiples motifs ornementaux est considéré comme l'une des plus belles pièces héritées des enluminures médiévales, exposée désormais à la bibliothèque du Trinity College.


Le long métrage irlandais s'inspire donc de divers éléments factuels tout en les remaniant, assimilant les vikings à une entité maléfique déshumanisée moins proche de la réalité que des représentations prédominantes chez les clercs, notamment suite aux premiers pillages.
L'histoire s'inscrit dans la tradition des récits initiatiques et se focalise sur le parcours de Brendan, de son rapprochement avec le frère Aidan au sein de l'abbaye à ses pérégrinations en forêt, bravant les interdits de son oncle pour se frotter aux mystères des divinités païennes issues de la mythologie celtique, en passant par l'amitié qu'il nouera avec la jeune Aisling, sans oublier la « mascotte » Pangur Ban. Ces péripéties le feront évoluer et gagner en maturité, jusqu'à ce qu'il assume à son tour la charge liée à la perpétuation de l'œuvre initiée par Saint Colomba.


"Brendan et le Secret de Kells" rend parfaitement justice à la beauté des enluminures et se situe au carrefour des mondes, à mi-chemin entre la rigueur austère des abbayes et une culture celte empreinte de mysticisme et source de fascination.
Le livre autour duquel tout gravite est loin de se réduire à un vulgaire MacGuffin, puisqu'il devient pratiquement un personnage à part entière, le dépositaire d'un art à préserver et perpétuer, qui dépasse largement la somme de ses composants.


Ce propos s'accorde à merveille avec un style graphique proche de l'iconographie luxuriante du Moyen Âge, entre une palette de couleurs qui colle parfaitement avec les ornements du livre, l'écrasement des perspectives tandis que les personnages semblent alterner entre différents tableaux, l'apparence très particulière des protagonistes, avec un chara design plutôt anguleux, et bien d'autres points que nous n'aborderons pas ici afin que vous puissiez vous-même apprécier l’esthétique d'un long métrage inscrit dans une démarche parfaitement maîtrisée.
Le travail d'artisan réalisé sur l'animation en deux dimensions est très efficace et montre que cette dernière se défend bien face à des techniques comme la rotoscopie ou la 3D. Ce qui compte est avant tout d'avoir une ligne artistique pertinente et adaptée à son sujet. Force est de constater que "Brendan et le Secret de Kells" est une pure réussite au regard de ce critère.


Les qualités liées à la réalisation et l'animation s'accompagnent d'une histoire loin d'être aussi simpliste qu'elle semble l'être de prime abord, traitant entre autres des regrets et du temps qui passe.
Ajoutons à cela une très belle musique composée par le français Bruno Coulais, déjà derrière les notes d'un film tel que "Coraline", et l'intégration de sublimes chants gaéliques, ainsi que de purs moments de poésie, notamment au sein d'une forêt recelant moult dangers et merveilles.


"Brendan et le Secret de Kells" est à bien des niveaux un vrai bijou.

Wheatley
8
Écrit par

Créée

le 17 déc. 2020

Critique lue 90 fois

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