Silent mourning
“I'm an ordinary woman. I didn't think such violent things could happen to ordinary people.” Dans cet extrait de la confession silencieuse que Laura fait à son mari, tous les choix qui font de...
le 2 mars 2017
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Derrière ce titre un brin pompeux, il y a une idée qui m'a fasciné dans ce film labellisé "Aurea" et qui avait donc tous les ingrédients pour me rebuter de prime abord : la pensée (et donc les émotions) suivent les événements de manière chronologique, et il faut constamment faire des sauts dans le temps pour comprendre des enjeux qui nous ont initialement échappé dans l'instantanéité du présent.
La construction du film est à ce titre étonnante, puisqu'il s'agit quasi-intégralement d'un flash-back.
Or, on sait à quel point une structure en flashback, matinée de voix-off, peut avoir un effet sclérosant sur la narration, en figeant les personnages quand elle n'est que descriptive.
Les meilleurs flashback ne se contentent pas de raconter les événements du passé, mais comme dans Citizen Kane, ils servent une autre fonction : éclairer le présent.
Mais, et c'est là où les choses se compliquent, il y a une ambiguïté majeure dans le film de Lean. La narratrice qui raconte son histoire est insituable dans le temps ou l'espace, ni véritablement au présent, ni dans le passé, elle s'adresse en monologue à son mari comme s'il s'agissait d'une voix irréelle, une voix intérieure qui lirait une lettre d'adieu ou de suicide, une voix d'outre-tombe, une voix qui s'échappe de la diégèse.
Le flashback n'a donc plus ici pour fonction d'éclairer le présent ou l'avenir des personnages, il est un passé qui éclaire un autre passé, révolu, fini, et qui ne pourra plus revenir. Mais le flashback est aussi un espoir, c'est la pensée d'un vivant, qui revit des événements dans des cycles infinis (jusqu'à la mort du moins). Et c'est l'une des problématiques du film : faut-il mourir pour ne plus avoir à souffrir de cet amour impossible, ou faut-il vivre pour que cet amour perdure intellectuellement ? Bref faut-il se prendre la tête avec des problématiques de bonne femme ?
La structure du film forme une démonstration implacable de la puissance de la rétrospection, digne d'un Brian de Palma des grands soirs, je m'explique.
Tout le génie du film consiste à démarrer en suivant le point de vue d'un personnage secondaire, ce qui de manière subtile, ne permet pas de saisir avec précision les enjeux qui travaillent les deux personnages principaux, car il manque un contrechamp.
Les événements ont donc une apparence anodine, et plutôt légère.
Et pourtant, à partir du moment où l'on bascule sur le point de vue de l'héroïne, et qu'on rentre dans le flashback, pour revenir progressivement jusqu'au point de départ du film, le contrechamp est bouleversant, et les mêmes événements auparavant anodins, prennent une évidence tragique.
C'est le regard sur les événements passés qui leur donne un nouvel éclairage, une nouvelle épaisseur, et qui crée une émotion.
Mais plus encore, tout au long du film, les personnages n'ont pas de prise sur l'instant. Ils sont aspirés dans un "tourbillon" sentimental sans même s'en apercevoir, et c'est toujours en y repensant à froid qu'ils se rendent compte qu'il y a une couille dans le potage.
(C'est d'ailleurs ce qui me fait penser qu'un "coup de foudre" n'existe pas, on ne tombe pas amoureux au premier regard, mais c'est notre pensée ultérieure qui reconstruit cette idéalisation de l'instantanéité de la passion).
Le film parvient par ailleurs à restituer à merveille l'excitation mêlée au doute, dans la scène où l'héroïne attend son amant pour lui dire qu'ils ne doivent plus se revoir, et qu'il ne se pointe pas. Ca psychote tellement que la cervelle de la bonne femme finit par fumer.
Pareillement, si l'héroïne ne se sent pas capable d'avouer à son mari ses escapades amoureuses, dans un temps pourtant très lointain, c'est précisément par crainte qu'il comprenne rétrospectivement que toute son existence n'aura été qu'une illusion.
Cette logique rétrospective travaille tout le film, jusque dans ses intrigues secondaires les plus anecdotiques (cf l'amie qui découvre qu'il prête une garçonnière pour un autre exemple).
Un peu vieux jeu évidemment (bon 1945 et pas si vieux jeu que ça, tout compte fait), assez classieux, l'actrice est un chouïa exaspérante, pleurnicharde, et un poil gonflante.
Voilà c'est des problématiques sentimentales qui me parlent pas plus que ça avec ce traitement très sérieux, étant surtout un adepte de la comédie romantique, j'ai du mal à adhérer aux grandes passions amoureuses prises au premier degré, et qui avaient un succès fou dans les 30's (le public étant alors essentiellement féminin).
Je dois même dire que je trouve ça un peu flippant.
Par moment, je me demande si la nana devrait pas être internée, elle pourrait tuer des gens pour protéger son jules.
A noter qu'en matière de regard, j'ai une certaine affection pour le mari cocu qui s'en bat les reins puisqu'il ne voit rien et qu'il passe son temps à faire des mots croisés.
On est un peu à la croisée des chemins entre tragédie et mélo. C'est un peu du mélo, puisque les personnages sont victimes de leurs sentiments, qui sont plus forts qu'eux, qui les dépassent, qu'ils ne contrôlent pas, ils ne sont donc pas véritablement libres de leur choix, mais ça n'est jamais aussi simple. On est donc aussi un peu dans la tragédie, lorsqu'ils finissent par décider de régler froidement le problème.
J'aime bien la fin, ambigüe comme tout le reste, happy end or not ? elle plonge dans les bras de son mari, tout est bien qui finit bien, la famille conservatrice est préservée ? Ou bien va-t-elle pour le restant de ses jours rêver de ses "brèves rencontres" avec peut-être l'espoir de retrouver son jules ?
Impossible de savoir, reste à souligner l'ironie du titre du film "Brève rencontre", mais comme dirait l'ami Albert le temps est relatif, ce qui peut sembler bref selon un référentiel peut durer une éternité dans les méandres de la pensée humaine.
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Créée
le 5 juil. 2016
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