Cela fait très longtemps que La Nuit du chasseur m’attire, mais le monument de Charles Laughton m’est encore inconnu : pas assez toutefois pour que le présent Brimstone ne l’évoque pas, qui du propre aveu de son réalisateur Martin Koolhoven s’en inspire librement. Laissons donc de côté les déambulations mortifères de Robert Mitchum pour nous consacrer à celles de Guy Pearce, véritable bras armé d’une intrigue éprouvante comme pas deux.


Celle-ci suit les pas de Liz, une sage-femme muette opiniâtre mais rapidement bouleversée par l’apparition d’un énigmatique pasteur, dont la verve rigoriste comme charismatique déteint rapidement sur ses nouvelles brebis. Avec sa construction distinctement séquencée à la sauce biblique, Brimstone tend rapidement à se jouer du spectateur en allant à rebours du récit, chaque nouveau chapitre explorant davantage les origines de ses protagonistes… dont la nature même de leurs liens confine à l’horreur froide.


Véritable cauchemar perdurant à travers les années et les grandes étendues de l’Ouest américain, le révérend opère une traque généreuse en matière d’effroi : d’abord présenté sous un jour presque mystique, inarrêtable et insidieux, celui-ci emprunte carrément aux codes de l’épouvante pour malmener sa proie, et le spectateur avec. Si certains effets peuvent paraître presque putassiers, car trop exagérés dans le cadre pourtant terre-à-terre du film, il ne s’agit que d’un savant mécanisme visant à légitimer la peur de notre héroïne : la qualifier comme tel est d’ailleurs plutôt malvenu, Brimstone entretenant une ambiguïté maligne à son égard, les révélations ultérieures dépeignant fort justement un portrait abimé mais résolu.


Parcouru tout du long d’une violence implacable, le long-métrage ne lésinant d’ailleurs pas sur les séquences âpres, sanguinolentes, le récit nous réserve pourtant une sacrée surprise à l’orée de sa génèse : encore que le prisme familial et, surtout, paternel se devinait peu à peu, il advient que ce point de départ conforte pour de bon les sévères prétentions du tout, Brimstone n’édulcorant en rien l’innommable perversité d’une foi instrumentalisée, il conjugue l’impuissance enfantine de Joanna, la soumission (quasi) totale d’Anna et le prêche hypocrite du patriarche.


Ce dernier, dont le physique tracé reflète parfaitement la psyché ascétique, fait montre d’un tel fanatisme maîtrisé qu’il constitue un antagoniste à nul autre pareil : plus la trame creuse son sujet, plus l’atrocité de la situation s’accroît de façon exponentielle. Une manière de justifier le « mutisme » commode d’une Liz ne prévenant pas (vraiment) Eli du danger, tandis que Brimstone détourne ironiquement le rôle du sauveur un temps attribué à Samuel : car de son apparition salvatrice, nimbée d’une lumière angélique, à son malencontreux monologue d’ordinaire attribué aux vilains classiques, l’espoir est assurément une denrée à double-tranchant.


Peut-être le film est-il trop jusqu’au-boutiste en ce sens, mais il faut bien convenir de sa cohérence : plus en détail, le rôle final de Nathan est par exemple symptomatique de son symbolisme acéré, faisant du coup du sort une finalité aussi logique que fataliste… quoique libératrice. Formellement, Brimstone est pour sa part des plus convaincants, Martin Koolhoven étant loin d’être un manche : si l’ensemble manque malgré tout d’éclat, la photographie immersive de Rogier Stoffers et l’irréprochable reconstitution d’époque composent une somptueuse fresque.


Enfin, un dernier mot concernant sa distribution, en l’espèce excellente à souhait : à l’instar d’un Kit Harington faisait efficacement du Kit Harington, la doublette Dakota Fanning/Emilia Jones est des plus marquantes, leurs interprétations respectives maximisant à loisir l’empathie suscitée par Liz/Joanna. Et, forcément, Guy Pearce crève l’écran d’un bout à l’autre : sans lui, le révérend n’aurait pas eu la même mainmise sur le récit, et Brimstone aurait sans nul doute fait montre d’une envergure moindre.


Car pris en tant que tel, ce dernier est une formidable expérience : nonobstant de menues imperfections, cet exposé explorant et malmenant les diverses facettes de « l’Amour » ne laisse pas indemne, loin s’en faut.

NiERONiMO
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le 15 nov. 2020

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