Juste après que les lumières se soient rallumées, je sais déjà que j’y reviendrai. Qu’il me faudra revoir un film beaucoup plus subtil que le maigre pitch - c'est son conflit intérieur et sa force - n'avait pu le laisser penser au premier abord : le biopic sur-vitaminé du prisonnier le plus dangereux d'Angleterre.


Curieusement, ma première sensation a été que le film était une métaphore de la génération triomphante d’aujourd’hui, celle de « la notoriété à tout prix ». Bronson ne sait que faire de sa vie mais rêve de gloire. Et sa volonté d’être le tout dernier à sortir de sa prison (de son loft ?), sa détermination à y rester le plus longtemps possible n’est pas sans rappeler ces personnes privées, anonymes devenant soudain des personnages publics aveuglés sous le feu des projecteurs et face aux caméras d’une télé-réalité. Cette notoriété acquise de haute lutte (au détriment d’autres candidats) se payant parfois très cher… Il n’est ici jamais question que de coups de matraque dans le buffet, qui contribuent paradoxalement à préserver « l’immunité » du candidat Bronson.


Evidemment, un personnage à la violence hors normes pris dans les mailles d'un filet carcéral tranchant comme une lame, ne peut que ramener à la surface les souvenirs intacts d'Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971) et de son personnage inoubliable interprété par Malcolm Mc Dowell. Au cours du film, affleure même la folie rampante et carnassière de Vol au-dessus d'un nid de coucou (Milos Forman, 1975) : je pense à quelques séquences très fortes dans lesquelles l'institution s'échine à brider, briser le héros, sonné par les médicaments, en compagnie de cas désespérés dans une immense salle dont l'immaculée géométrie peut rendre fou... Au poste frontière de la lobotomie, le héros, quasi perdu pour la santé mentale, trouve encore la force, inouïe, l'invraisemblable énergie de rester lui-même.


Au-delà de ces 2 références centrales, il ne faut pas négliger l'ambition formelle si palpable de faire de Bronson un Rock Opéra, une comédie musicale moderne dissonante et brutale où la réalité la plus crue, la plus étouffante aussi côtoie l’artifice et les éthers silencieux d'une scène de théâtre.


Tout l'intérêt narratif émanant de ce qu'un homme se trouve perdu dès lors qu'il sort de prison – ou d’une salle de spectacle, un lieu matriciel, au fond son seul repère/repaire, l’origine réinventée de son monde dans un lieu clos. Puisqu’il est LE spectacle et que c'est bien entre ces 4 murs qu'il va façonner sa légende. Il finit par faire de sa propre personne une sculpture, affinée sous les coups de boutoir de gardiens de prison qui lui gardent pourtant une forme d'admiration, d'amitié. Et oui, c’est que Bronson est unique en son genre, singulier dans sa façon de ne rien attendre des autres, du monde... Un authentique innocent, un Petit Prince des prisons, jamais tenté par le cynisme, la manipulation, la fourberie, qui n'essaye pas de s'évader sinon dans ses fantasmes créatifs.


Chaque nouveau combat à main nue est une nouvelle étape dans l'oeuvre qu'il accomplit sur sa propre personne, pour ne ressembler à aucun autre prisonnier. Il me rappelle en cela ces artistes qui prennent des objets usuels (des pneus, de la tôle rouillée, des bouts de carcasse de voiture, des déchets urbains) pour les détourner de leur fonction initiale, pour en faire des œuvres singulières, comme des reflets artistiques de ce que sont devenues nos sociétés.


Bronson est bien en cela aux antipodes d’ Un Prophète.


La prison n’y est jamais ce lieu social, cet accélérateur des possibles, où les réseaux vont permettre à un « blanc bec » de sortir corrompu jusqu’à la matrice, par la grande porte des immortels parrains de la pègre, à coup de calculs un peu fous et de préméditation, non la taule ici c’est la chambre noire, le révélateur de ce qui fera de Bronson ce qu’il a toujours été, dans son plus simple appareil, un être épris de liberté, celle d’exister, de penser par lui-même.


Comme dans Valhalla Rising (2010) du même réalisateur, il y a aussi les accents d’une épopée Arthurienne renforcés par quelques irruptions autoritaires d'un opéra de Wagner (Le Crépuscule des Dieux) - indissociable à mes yeux d'Excalibur (John Boorman, 1980).


Parce que la recherche de ce Bronson c'est en creux la quête de son graal intime ou comment se réaliser, accoucher de son oeuvre (lui-même) malgré ou plutôt grâce aux 4 murs qui sont à ses yeux 4 bonnes raisons d’exister.


Nicolas Winding Refn s'affranchit dans le même temps de codes, de conventions, qui symboliquement sont ces murs en apparence infranchissables. C’est bel et bien lui le taulier, démontrant à merveille sa capacité à révolutionner un genre tout en sachant garder à l'esprit, chose rare, l'hommage habile et puissant de chaque instant. Car c’est un cinéphile reconnaissant, un réalisateur respectueux de son art, désireux de se confronter à ses pairs. Il ne détruit pas mais rebâtit après avoir versé sa larme. Voilà sa volonté, qui s’inscrit toujours dans une filiation, et s'accompagne d'une réflexion profonde sur l'aliénation (le prisonnier de Valhalla Rising, l'univers carcéral de Bronson, le déterminisme social des personnages inoubliables de la trilogie Pusher).


Bronson est une quête de soi et d'absolu qui réussit le pari fou de se régénérer malgré la sécheresse de l’univers (un lieu clos et étouffant) et la minceur du pitch (une narration en boucle, en apparence répétitive et redondante). Il finit paradoxalement, en écho, par nous régénérer. C'est tout le prix de ce très grand film à revoir pour en saisir toute la vitalité contagieuse.


Cette réussite est totale grâce à un acteur, Tom Hardy, méconnaissable et transcendé, dirigé de main de maître par Nicolas Winding Refn qui s’impose une fois de plus comme un dénicheur de talents et un directeur d’acteurs exceptionnels. Ci-après les photos du vrai Bronson et d'un Tom Hardy transfiguré pour le rôle.


Je voudrais pour finir revenir sur 2 idées reçues trop largement répandues au sujet de ce jeune réalisateur danois :


Il y aurait d’abord une croyance au sujet de sa technique, ce qu’on pourra désigner comme une insoutenable légèreté de faire, donnant le sentiment que son cinéma se base essentiellement sur une improvisation éclairée, or c'est tout le contraire... Il faudra pour en convaincre les sceptiques et j’y suis prêt que nous passions ensemble des heures à décortiquer ses choix qu'ils concernent le cadre, l'enchaînement des plans, des séquences, la mise en valeur d'idées force. Son cinéma est extrêmement écrit, pensé, travaillé. Cette impression de facilité est déjà, en soi, le signe tangible qu’il a du génie.


Il y a par ailleurs à travers les choix qu’il opère (thèmes, codes visuels, univers musicaux) la perception que Nicolas Winding Refn fabrique ses films de l'air du temps, surfant sur des idées tendances (violence gratuite, graphique, images très travaillées) alors que tout est fait contre l'air du temps parce que chacune de ses oeuvres - c'est ainsi qu'il faut les désigner - est à l'épreuve du temps, et ce dernier nous le dira bien assez tôt.


Sachons seulement être patient.

Créée

le 18 janv. 2016

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