Pour sa première réalisation, l’acteur Vincent Gallo réussit un coup de maître. Non seulement sa prestation d’acteur est irréprochable, mais il montre que sa volonté de passer derrière la caméra n’est pas une lubie de monsieur je sais tout. Il a des idées de mise en scène qui lui permettent d’agrémenter un film qui laissait craindre un psychodrame.


Du psychodrame, on en a dans la première partie. Billy Brown (Vincent Gallo) sort de prison un matin neigeux. Il est tellement paumé qu’il va, une fois sorti, jusqu’à demander au gardien de service s’il peut rentrer pour aller aux toilettes… L’ambiance est dans des tons froids dominés par le bleu et le gris. Billy va avoir toutes les peines du monde pour trouver des toilettes… ailleurs. Il échoue finalement dans un bâtiment où un groupe de jeunes filles répète une chorégraphie. Pressé de se soulager et de passer un coup de téléphone à ses parents pour renouer le contact, Billy se montre assez malpoli envers celle qui lui prête 25 cents, plutôt par crainte. Il faut dire qu’il a une barbe de 10 jours environ, le visage quelque peu émacié et une attitude légèrement nerveuse.


La jeune fille en question, Layla (Christina Ricci) va prétendre par la suite avoir 28 ans. Mais elle affiche un look de jeune fille à peine sortie de l’adolescence, avec ses cheveux blonds mi-longs séparés par une raie au milieu qui lui dégage son immense front, un visage poupin au milieu duquel on ne peut pas louper deux yeux aux paupières rehaussées d’un bleu scintillant. Elle porte un collant sur des cuisses légèrement dodues, une petite robe très courte avec un décolleté pigeonnant mettant en valeur une poitrine qui ne passe pas inaperçue, surtout que la robe est maintenue par un nœud bien placé. Mais Layla se montre peu sûre d’elle, craintive, limite godiche (assise sur une marche, elle a tendance à serrer les genoux tout en maintenant ses pieds écartés).


A ses parents, Billy prétend être dans un hôtel en compagnie de sa fiancée. Sa façon de présenter les choses est l’illustration d’un fantasme. Pour lui, le bonheur serait une situation lui permettant d’annoncer « Il faut que j’y aille, il y a ma nana qui m’attend. » Pour ses parents il est de retour après avoir fui. En réalité il a fait 5 ans de prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Il a accepté d’endosser la responsabilité pour payer une dette. Le responsable de sa dette est un footballeur de l’équipe des Buffalo qui a raté l’immanquable… Lui-même est né en 1966, faisant rater à sa mère une mémorable victoire de cette équipe.


Pour assurer vis-à-vis de sa famille, Billy (à sa façon !) convainc Layla de l’accompagner (ça tombe bien, elle a une voiture) et de passer pour sa petite amie. Et il l’appellera Wendy Balsam, un nom qui ne doit rien au hasard.


La réunion de famille ? Très révélatrice. La mère (Anjelica Huston) en blouson bleu est captivée par le football américain à la télé. Le père (Ben Gazzara) va jusqu’à pousser la chansonnette pour Layla qu’il trouve à croquer, alors qu’il est exaspéré par son fils au point de lui tourner le dos à table. Lourd passif familial dans une banlieue pavillonnaire et un milieu socio-culturel modeste qui a marqué toute l’enfance de Billy…


Vincent Gallo touche par l’apparente simplicité avec laquelle il filme tout ce petit monde. Il s’approprie avec bonheur la recette éculée consistant à faire cohabiter deux personnes qui, à première vue, n’ont pas grand-chose en commun. Son film emporte l’adhésion par le ton qu’il instaure. Le spectateur est rapidement séduit par le vrai/faux couple Billy/Layla, Layla s’avérant tout aussi paumée que Billy. Le film ne cherche pas du tout l’apitoiement. On a même droit à quelques moments jubilatoires, au bowling par exemple. Après avoir bichonné sa boule (comment ne pas penser aux frères Coen et The Big Lebowski ?), Billy retrouve des sensations, ce qui n’empêche pas Layla de se mettre en valeur à son tour, montrant de quoi elle est capable une fois mise en confiance.


D’ailleurs, Layla a montré qu’une fois briefée, elle est capable d’improviser de façon bluffante devant les parents de Billy, histoire de faire remonter la cote de celui-ci. Bref, Layla se révèle la femme sur laquelle Billy avait une chance sur un milliard de tomber en sortant de 5 ans de prison. Évidemment, il a beaucoup de mal à croire à ce qui lui arrive. Il faut voir sa gêne dans la chambre d’hôtel qu’il partage avec Layla pour éviter de trop dépenser !


Vincent Gallo montre l’envers du visage clinquant de l’Amérique des golden boys. Cet aspect est symbolisé par une séquence où il montre toute son originalité : Billy et Layla sont en voiture après avoir quitté les parents de Billy. Ils ont beaucoup de commentaires à faire. On les entend et c’est instructif sur l’évolution de leurs rapports. Pendant ce temps, la caméra montre des paysages urbains nocturnes déserts agrémentés par les seuls éclairages colorés des divers néons. Ca c’est du cinéma !


Pour ce qui est de la forme, Vincent Gallo utilise le flashback de façon très judicieuse, avec incrustation d’écran : écrans multiples de ses souvenirs de taule lors de sa sortie, puis écran envahissant progressivement son visage pour rappeler quelques souvenirs d’enfance bien cuisants.


Des points faibles ? Même si elle m’a beaucoup amusé, Anjelica Huston en fait des tonnes. Et puis, même si on craque complètement pour le couple Billy/Layla, il y a des moments où les voir rester ensemble manque de crédibilité. On peut aussi voir ça comme le moment miraculeux où tout est possible : magie du cinéma !


Enfin, la BO. Elle est remarquable avec Stan Getz, Moonchild de King Crimson ainsi que Heart of the sunrise et Sweetnen de Yes pour accompagner des scènes essentielles.


Conclusion : YES he can !

Electron
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le 13 mars 2013

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