La vie ne vaut d'être vécue sans (avoir foi en) l'amour

"This little boy... All my life, i've been this lonely boy, dou dou..."
Ainsi commence Buffalo'66. J'y repense parce que je viens de me passer la BO (qui figure dans l'album « Recordings of music for film »), et il y a cette chanson, tout un programme, tandis qu'à l'écran on peut voir une photo de Billy Brown, le petit garçon du chocolat au lèvres, pas du tout préparé à être seul toute sa vie, à souffrir toute sa vie, à ne jamais être aimé.
Ce film, c'est le film fondateur de mon romantisme. L'histoire d'un homme seul, blasé, colérique, mais fragile et touchant, qui n'a jamais eu que des déceptions et qui rencontre finalement une jeune femme qui tombe amoureuse de lui et lui propose de croire que c'est possible, qu'un avenir meilleur est possible pour lui, un avenir où il n'haïrait plus la race humaine, où celle-ci lui sourirait...

« Dou, dou... », avec ces deux mots, la douceur du film est déjà annoncée. Le personnage, pourtant, n'est pas tendre, ni ses parents, ni vraiment la jeune femme qu'il rencontre (Leila est simplement amoureuse), ni la fille qu'il aimait étant jeune (Wendy Balsam) ou son époux, ni son meilleur ami Goon, ni le propriétaire du bowling, et encore moins le bookmaker ou les matons du début du film. Mais même avant que les personnages principaux, Billy et Leila, se laissent finalement aller à la tendresse, dans tout le film déjà, la mise en scène se montre tellement pleine d'humanité : les rêves (Leila dansant de ses claquettes sur Moonchild de King Crimson ; le père de Billy se prenant pour un crooner avec tellement de nostalgie sur Fool's Rush in ;Billy imaginant qu'il rentre dans un bordel complètement immoral et artificiel pour se frayer un chemin et dégommer le patron de la boite avant de se perforer sauvagement le crâne avant que ses parents se retrouvent devant sa tombe, se disputant comme d'habitude et écoutant un match à la radio...), le désir de créer l'empathie chez le spectateur (le patchwork d'images à la sortie de la prison pour évoquer le douloureux passé de Billy tandis qu'on ne voit qu'un homme allongé sur un banc et totalement détruit ; les plans sur Goon à hauteur de taille/lit montrant sa difficulté à s'élever dans la société, à avoir une estime de soi). Mais c'est également le cas du scénario : la prise en compte des humeurs des personnages (Billy qui essaie d'aller aux toilettes très longtemps, ce qui le rend très irritable jusqu'à ce qu'il y aille ; Goon qui a décidé qu'il s'appelait Rocky et n'oublie jamais d'insister pour que Billy l'appelle Rocky), les réconforts (Leila qui soutient Billy avec naïveté devant les parents ou avec beaucoup de lucidité devant la vraie Wendy Balsam), la providence (la rencontre de Leila dans le club de claquettes, que ce soit elle qui soit allée aux toilettes et pas une autre ; le pâtissier qui offre ses biscuits en forme de cœur comme pour confirmer à Billy que maintenant l'amour fera loi), ...

J'avais proposé à des amis de leur montrer ce film. Nous étions trois ou quatre et à la fin, mon pote m'a dit : « j'aime bien les films comme ça, si t'en as d'autres n'hésites pas, ça m'intéresse ». J'étais assez désarmé : « c'est mon film préféré, il y en pas d'autres COMME celui-là ! ». Depuis, pourtant, j'ai découvert « L'impossible monsieur bébé», de Howard Hawks et « La vie est belle » de Frank Capra. Le lien avec « La vie est belle », c'est cette possibilité d'entrevoir le futur et de faire le bon choix. Mais surtout, il y a quelque chose de plus important dans le lien avec « L'impossible monsieur bébé » : dans les deux films, l'amour ne dit pas son nom. Plus précisément, les personnages (un homme, une femme) s'aiment depuis le début mais ne font que s'engueuler, se gêner, se repousser, comme pour mieux tester la résistance de leur réelle passion qui est, elle, souterraine. Sur quoi s'appuie cette passion ? Les défauts peut-être : dans L'impossible Monsieur Bébé, la femme se prend pour une princesse et l'homme est un scientifique chichiteux, il lui reproche en permanence son comportement capricieux ; dans Buffalo'66, Leila se prend aussi pour une petite princesse et Billy ne pense qu'à l'image qu'il donne de lui, il est rustre avec elle. Ou bien la fragilité, le sentiment qu'il faut aider l'autre en l'aimant : dans L'impossible Monsieur Bébé, le scientifique va se marier avec une collègue et son épouse ne veut même pas faire de noces, il n'aura donc pas beaucoup d'amour et de passion avec cette épouse, c'est pourquoi la jeune femme apparaît dans sa vie comme si elle savait tout cela ; dans Buffalo'66, il est mal-aimé par ses parents, par Wendy, et il avait d'ailleurs fait ce pari sportif (Buffalo remportant le superbowl de nouveau) dans l'espoir de faire basculer sa mauvaise étoile (être né le jour où Buffalo remporta le superbowl pour la dernière fois, ce qui fit que sa mère regretta sa naissance car elle aurait tellement voulu y être...). A chaque fois que je vois cela, un amour qui ne dit pas son nom... En fait, c'est aussi quelque chose de proche qui a lieu dans « La vie est belle », quand le couple est au téléphone avec le futur aimé de la jeune femme : chacun des deux se retrouve parlant au téléphone alternativement, pendant que l'autre le regarde avec amour, et ainsi de suite, l'un regarde l'autre qui ne se voit pas regardé, jusqu'à ce que les regards se croisent et que l'homme annonce à l'époux que le mariage n'aura pas lieu parce qu'il l'aime et qu'elle l'aime, et aussi qu'il ne vendra pas la banque de son père (ou un truc dans le genre). Ce motif me fascine assez. Quand je rencontre quelqu'un avec qui je joue à cache-cache, avec qui on se provoque, on joue, à chaque fois je me dis que c'est la bonne. Mais ça n'a pas encore marché, donc je me dis que c'est décidément du cinéma tout ça, rien de déterminé dans les situations amoureuses si ce n'est qu'il faut rester ouvert à toute éventualité.

Le romantisme, en soi, c'est du cinéma, je le sais. Demeurent l'empathie, l'amour, l'espoir de retrouver tout cela chez les autres. Et cet espoir là, je le retrouve dans ce romantisme-là, dans ce film-là.
Jonathan_Suissa
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le 14 oct. 2010

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Jonathan_Suissa

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