Un moment de cinéma intense, une virée en enfer qui ne peut laisser indifférent.

Jamais un film belge n'avait suscité autant de réactions pessimistes au sein de l'esprit des spectateurs. Même le controversé C'est Arrivé Près De Chez Vous n'avait pas plongé aussi profondément dans les abîmes de l'Homme, des profondeurs d'une noirceur effrayante nous renvoyant directement à nos propres démons intérieurs. Avec Bullhead, Michael R. Roskam nous plonge dans des ténèbres sans aucune issue de secours. L'échappatoire n'est pas envisageable.

Bullhead c'est l'histoire d'un homme rongé de l'intérieur, un homme consumé à petit feu d'un mal qu'il traîne depuis des années, une douleur si profonde et compréhensible une fois le voile levé qu'elle l'empêche de vivre et le pousse à vivre seul. Car malgré son imposante carrure, Jacky Vanmarsenille est un être attachant d'une très grande sensibilité. Il voudrait être normal mais ne le pourra jamais. Il donnerait tout pour être vous, pour être moi, pour être n'importe qui mais pas lui, certainement pas. Jacky Vanmarsenille est ce genre de personne nous forçant à penser que le destin peut parfois être un beau salopard.

Sur le plan technique Michael R. Roskam a réalisé un travail d'orfèvre. Nombreux sont ceux qui auraient fait évoluer leur film vers le grandiloquent, le spectaculaire, surenchérissant à chaque nouveau plan dans le choc, pas Roskam. Le réalisateur tient son fil directeur et ne déviera pas d'un centimètre jusqu'à la fin. C'est sans doute ce choix d'une intelligence imparable qui rendra Bullhead encore plus malsain, encore plus profond. La mise en scène froide qui n'est pas sans rappeler un certain cinéma scandinave (la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn dans ses grandes lignes) plonge le spectateur dans un univers d'une tristesse infinie. Le scénario prend le temps de s'installer et même si certains comportements paraîtront inadaptés sur le moment, il faudra simplement prendre le temps de déguster un film qui ne laisse rien transparaître dès les premières secondes.

Et que dire de la prestation de Matthias Schoenaerts si ce n'est qu'elle frise la perfection ? Puissant, émouvant, perceptible en de très rares occasions, l'acteur qui s'est déjà fait remarquer dans des films diamétralement opposés comme le surprenant Left Bank, Black Book ou encore La Meute apparaît ici en pleine possession de son art. Il transpire la rancœur et le dégoût envers lui-même à chaque nouvelle séquence, dégoût qu'il laissera éclater dans des éclairs de violence confirmant cette bestialité qu'il tente de dompter, en vain. Il est le pilier central de ce drame, c'est par lui que les émotions naitront et éclateront en pleine puissance. Assurément un acteur de la trempe d'un Tom Hardy, Malcolm Mcdowell ou Marlon Brando dont on se souviendra bien des années après grâce à cette performance si parfaite qu'elle semble irréelle.

Petit bémol infime pour ma part, la vérité sur l'épisode qui changea à jamais la vie de Jacky arrive un peu vite. Au bout de quarante minutes à peine. Prolonger le suspense n'aurait fait qu'accroître notre interrogation et rendre la vérité encore plus bouleversante. Peut-être Michael R. Roskam n'a-t-il pas osé nous plonger encore plus profondément dans la noirceur et la perfidie humaine par peur d'en faire trop, quoiqu'il en soit, Bullhead est un moment de cinéma intense, une virée en enfer qui ne peut laisser indifférent. Le premier film coup de poing de cette année 2012.
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le 23 févr. 2012

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