Bully
7.1
Bully

Film de Larry Clark (2001)

Je me souviens de... La sueur sur le corps des très jeunes personnages principaux quand ils font l'amour. Ca, Larry Clark, il connaît, les corps, la sueur, les très jeunes sujets de photographie, de film. Et tout est là. Le corps, la sueur, la jeunesse : dans Bully, on a des personnages exténués, incapables de se frayer un chemin droit/propre dans la vie, empêchés qu'ils sont par leur candeur mais aussi par leur corporéité. Ce sont des choses organiques, et puis des sujets d'expériences aussi : celles qu'ils cherchent et celles qu'ils subissent.

Comme ces parties de jambes suantes en l'air, ces seins suants et peu épais, avec ces mouvements à peine aisés : ils peuvent à peine faire du va et vient.

Quand je regarde un film de Larry Clark, ce qui me frappe, c'est : ils sont à peine formés, et pourtant livrés à eux-mêmes. Comme Ken Park, du film éponyme, devenu papa sans qu'on lui ait demandé son avis. Mais Larry Clark ne fait pourtant que nous ramener sur terre : dés 13 ans, on peut techniquement signer le début d'une nouvelle génération d'enfants, c'est-à-dire de parents. Il n'y a guère que les plus jeunes personnages de Kids qui ne peuvent pas : à 8 ans, ils ne peuvent que fumer des joints. Ca les occupera en attendant... le temps passe mieux quand on a fumé. Ca passe mieux, cette vie de merde.

Vie de merde suintante, où les garçons de 16 ans doivent suivre la voie de leur père (reprendre la boutique du père) ou bien travailler le plus tôt possible. Aride : pas de culture, pas de livre à l'horizon, pas d'ascenseur social. C'est cela le monde que nous montre Larry Clark : un monde de bully's, ces tyrans qui martyrisent leurs amis (comme la victime du meurtre collectif), sauf que ce n'est pas juste un jeune homme qui est responsable. Dans Bully, on est les gens intelligents et eux c'est les ânes. Et on comprend qu'il n'y a pas qu'un Bully (la victime) : ce n'est pas lui le bully, c'est toute la société. Il n'est pas plus responsable que les autres personnages... A les entendre, les personnages qui l'ont assassiné se disculpent eux-mêmes : qu'ils le connaissent ou pas, il suffit de se convaincre que c'était un sale type. Mais le tribunal ne les écoutera guère. Pourtant, ce que nous dit Larry Clark c'est que ce sont de jeunes et suintants irresponsables de leurs actes. Eux aussi ont subi, ils n'étaient pas armés pour leurs responsabilités de vie ou de mort, d'enfantement, de travail, de pouvoir, de prise de stupéfiants, ...

Après, il est plus difficile d'avancer. Mais allons-y tout de même !
Je disais à l'instant que pour moi, Bully ce sont de jeunes et suintants irresponsables, à la fois physiquement désirables et culturellement anémiques, criminels, essentiellement des enfants. Des bébés criminels, comme pourrait les appeler le musicien et artiste performer Jean-Louis Costes. Les bébés n'ont-ils donc pas le droit d'imaginer ? « Vous ne savez donc pas qu'imaginer c'est pire que la réalité ?! » Une fois encore, ils ont tout imaginé, et c'est là que le bât blesse. A la manière des jeunes criminels du récent Gran Torino, on a là des jeunes gens impressionnables, marqués par des images toutes faites, celles d'un assassinat juste et donc forcément jouissif. On jouira forcément d'exécuter le bourreau. Voilà certainement la clé de ce puzzle : la jouissance.

Que disons-nous à nos enfants ? Ou plutôt, que dit la télévision (cette dernière étant la baby-sitter de nos enfants) ? Elle dit : jouissez tant que vous pouvez et voyez quand on vous dira d'arrêter. Que voient-ils en fait ? Ils ont des images du bien, du mal, des situations, des motifs... Un abuseur, un bully, violant une fille qui ne sait que jouer de son corps et non pas faire l'amour, frappant et humiliant son meilleur ami... sans espoir pour ce dernier de jamais partir (son père n'a pas les moyens, il ne pourra pas partir de cette banlieue moyenne de bord de mer). Une arme, des complices, un tueur professionnel, un mec costaud, un mec trippé, des filles remontées... Chacun jouera son rôle.

Mais non, le couteau ne se plante pas comme dans du beurre dans le corps du vilain bully. Les complices ne portent pas le corps sans rechigner, même si c'est pas eux qui l'ont exécuté (c'est la moindre des choses mais non). Le tueur ne pardonne pas aux non professionnels leur manque de professionnalisme, il n'efface pas les traces à leur place. Le mec costaud est un cœur tendre, une « fiotte ». Le mec trippé croit avoir planté le couteau mais non, en pleine montée d'acides il fait des bonds de cabri. Et les filles remontées ont déjà oublié pourquoi elles voulaient le tuer. Elles qui ne savent guère dans la vie que mettre au monde (en ayant vu faire leurs mamans ou en ayant accouché/avorté), ne peuvent s'imaginer ce que c'est que de prendre une vie.

Que reste t'il après tout ça ? Une petite mort ? Non, cette dispute, cet agacement, quand ils sont dans le banc des accusés, aux yeux de tous et toutes, n'est plus leur dispute cathartique, ce n'est plus de la jouissance, dés qu'on les voit ça devient un crime honteux.

Il n'y a qu'à voir la tête glaçante de ces magistrats pris en photo, figés : il n'y aura pas de clémence et il n'y a aucune sagesse dans ce tribunal, il n'y a qu'un couperet.

Les jeunes pousses seront tranchées comme des mauvaises herbes. Les pousses de la génération MTV/FoxNews, celles du SIDA, tous ces irresponsables suintant le foutre seront fauchés par l'aigle états-unien, parce que la grandeur d'une nation en dépend.

« Que Dieu leur vienne en aide » ... « ou nous les atomiserons ».

Moi, quand je pense à tout ça, je me dis que Larry Clark a bien raison de nous faire sentir leurs aisselles, leurs fronts ruisselants, leurs utérus juvéniles et déjà habités : rappelons-nous que dans le jardin d'Eden, nous c'est eux, et Dieu, lui, reconnaît les siens. La civilisation a beau être en perdition avec de tels individus, on n'a pas le droit de leur jeter la première pierre.
Jonathan_Suissa
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le 14 oct. 2010

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Jonathan_Suissa

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