(Attention, divulgâchage dans cette critique)


Vous connaissez toutes et tous cette histoire non ?
A partir du moment où on est un minimum familier avec l'univers de Senscritique, on est obligé d'être tombé au moins une fois sur une critique d'un type qui dit avoir détesté un film puis, en fait, il l'a revu quelques temps plus tard et c'était tout autre chose. C'est classique. Et parce que la cinéphilie est une construction continue, cette histoire se répétera encore et encore et je suis condamné à découvrir certains films trop tôt (et d'autres sans doute trop tard) et à les rejeter de manière un peu injuste. C'est comme ça.
Burning, je l'avais détesté il y a deux ans. J'ai le souvenir d'une séance éprouvante, interminable et surtout incompréhensible. J'avais des 8/10 chez mes éclaireurs, le film était à Cannes, tout le monde louait son originalité... InThePanda avait détesté ! Rendez-vous compte ! J'étais dans le même panier qu'InThePanda ! Mais bon, c'est comme ça, je me suis dis que je le reverrai plus tard et que, peut-être, je comprendrai.


Deux ans plus tard, j'ai compris. Enfin, je pense.


Burning c'est peut-être l'histoire de Ben, un tueur en série absolument glaçant dont le mauvais côté ne sera jamais montré aux spectateurs. Dans les films, on nous raconte souvent que les proches d'un tueur ne comprennent jamais comment celui-ci a pu commettre des actes horribles car l'homme semblait tout à fait normal. Burning nous met dans une posture similaire et refuse de faire tomber le masque. Certes, il est normal de ressentir un véritable inconfort face à ce golden boy au statut social imposant et au sourire un peu trop beau pour être réel. Pourtant, Lee Chang-Dong refuse d'aller plus loin et se contente d'ausculter la face émergée de l'ice-berg, laissant aux spectateurs tout le luxe d'apposer une teinte bien sombre à toutes ces scènes apparemment anodines. Ce traitement, qui ne cède jamais rien au divertissement ou au suspens, permet au spectateur d'expérimenter des sensations inédites...Et nul doute que les basses qui rythment le film ont tôt fait de décupler l'horreur qui se déroule en sourdine.


Mais peut-être que Burning, c'est avant tout le portrait de Hae-Mi, une fille pétillante mais un peu triste complètement inconsciente des sentiments qui s'embrasent autour d'elle. Une fille un peu délurée d'ailleurs, qui n'aurait jamais pensé qu'un homme en tuera un autre sur la seule foi de l'existence d'un chat qu'elle a inventé de toutes pièces. Une fille qui ne s'attachait pas tant que ça aux gens et qui, un jour, décida finalement de réaliser son rêve et de s'évaporer dans la nature, comme si elle n'avait jamais foulé cette terre.


Mais peut-être aussi que Burning, c'est juste l'histoire de Jong-Soo, un écrivain pauvre et paumé qui n'a jamais compris grand chose au monde qui l'entoure. Un type qui écrit dans une pétition que son père est un homme aimable alors que ses voisins le détestent sobrement. Un type qui dit au futur amour de sa vie qu'elle est laide. Un type qui est incapable de voir la beauté dans la danse du coucher de soleil de Hae-Mi et qui la traite donc de pute. Un type qui n'a jamais pigé le truc quoi, qui sait juste chanter avec ses vaches, se masturber en solo et envier les plus riches et les plus beaux que lui. Un type qui n'écrira sans doute jamais, mais auquel on s'attache tout de même un peu.


Burning, c'est peut-être tout ça à la fois et c'est bien parce que certaines de ses histoires coexistent qu'il est passionnant. Je pourrais continuer longtemps à écrire dessus, à vanter la justesse de sa mise en scène, à la fois réaliste et signifiante, jouant le statisme raffiné chez Ben et une certaine sécheresse caméra à l'épaule chez Jong-Soo...Je pourrais vous parler de la beauté de la photographie, de l'excellente bande-originale ou encore du physique hypnotisant de Steven Yeun. Je pourrais dire qu'il s'agit d'une alternative plus subtil et atypique à Parasite, les deux films coréens se rejoignant dans leur thématique sur la lutte des classes.
Je pourrais également vous parler d'une certaine distance que le film bâti entre lui et le spectateur, mais il s'agit peut-être là d'un défaut inévitable au vu des ambitions singulières du long-métrage.
Je vais m'arrêter là et simplement dire que oui, j'ai aimé et j'ai compris Burning. Et oui, il s'agit sans aucun doute d'un des films les plus subtilement importants de ses dernières années. Un classique quoi.

Newt_
9
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le 15 juil. 2020

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Newt_

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