"Burning" (2h30 de fascination pure), le nouveau film du sud-coréen Lee Chang-dong, est le crépuscule le plus beau, le plus exténué, le plus fiévreux, le plus étouffant, le plus troublant que j'ai vu s'imprimer sur un écran blanc. Il concentre tous ses attributs abrasifs dans une scène d'une beauté à couper le souffle, la scène centrale du film, celle de la dernière apparition d'Haemi, jeune femme-enfant qui danse dénudée au soleil couchant pour les deux garçons silencieux qui la contemplent. On est dans le jardin de Jongsu, l'un deux, à la frontière douloureuse entre les deux Corée, sous les haut-parleurs de la propagande qui se taisent à la fin du jour. A la place on entend la plainte de Miles Davis. Haemi irradie de grâce fragile puis pleure. Le coeur de Jongsu gonflé de désir muet ne saura pas la retenir ; le regard du mystérieux Ben, jeune homme fortuné, nous laisse désemparés. Un triangle amoureux de plus en plus déroutant, de moins en moins identifiable et tendu, une pantomime cruelle des relations humaines et sociales. Qu'est-ce qui existe ? Qu'est-ce qui n'existe pas ? Quel feu insensé ce qui sépare les êtres fait-il grossir dans le coeur de ces jeunes gens dont une société inique a fait des marginaux arrogants, des paumés rêveurs, des fantasques inconsolables ? Les trois ont des visages hypnotiques d'une grâce hiératique, des peurs muettes, des certitudes inavouables, un caillou dans le coeur, une rage étouffée, une sensibilité à fleur de peau...une lente combustion existentielle et politique qui s'accomplira peut-être ou fera la matière d'un roman...la structure minimaliste du film nous laisse tout reconstruire de cette tension irrésolue entre réalité et imaginaire. On retrouve chez Lee Chang-dong l'essentiel de ce qui faisait la beauté de la nouvelle du grand Murakami, et dans le scénario, la manière du très grand Faulkner, où la réalité n'est jamais que le point de vue d'un personnage inaccessible et plein de violence rentrée. A tale told by an idiot full of sound and fury signifying nothing. Vraiment magnifique.

Sabine_Kotzu
10
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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