L'Homme De(ux) Coeur(s)

C'est l'histoire d'un mal dont on ne parle jamais. Celui de ne plus arriver à trouver sa place dans le monde. De chercher constamment des points d'accroche et de se retrouver au ban de la société quand ceux-ci cèdent.
C'est aussi l'histoire d'un rôle qui semblait presque écrit pour Rami Malek. Après le brillant Eliott Alderson campé dans Mr. Robot, c'est dans le personnage de Jonah alias Buster qu'on le retrouve ici, quelque plus loquace mais toujours aussi introverti et timide tout en demeurant envoûtant dans sa prestation.
Monté de manière non-linéaire, ce film indépendant ayant atterri presque par hasard sur le plus large catalogue VOD actuel est donc l'histoire, du moins au départ, d'un ermite étrange, traqué dont on s'efforcera de comprendre le passé et les motivations.

Car, autrefois dans une vie banale et bien rangée, Jonah fait un jour la rencontre d'un homme qui va finir d'ébranler ses convictions sur le fonctionnement du monde, dans un contexte de passage au troisième millénaire fortement teinté de paranoïa et de théories du complot.

Sans en dévoiler plus sur l’enchaînement des événements du film, Sarah Adina Smith livre ici un travail plus que satisfaisant sur l'écriture de son personnage principal. Sont soulevées avec brio des thématiques faisant malheureusement encore plus écho près de deux décennies après la période dépeinte. Le sentiment de n'être qu'un pion dans un engrenage gigantesque qui tire les hommes vers la conformité au détriment de la liberté.
Si les personnages secondaires sont convaincants sans toucher au génie, l'histoire se centre exclusivement sur son personnage principal et sa quête intérieure.

La réalisation est sobre, tout en symétrie et donc en parfaite concordance avec l'ambiance du film en ce qu'elle dépeint de manière réussie la solitude intérieure de son héros. Accompagnée d'une BO parfois discrète et triste, parfois volontairement incongrue à la limite du comique, tout est mis en oeuvre pour accentuer l'aura de quête hallucinée comme de doute constant qui pèse du premier au dernier instant.

C'est sur le point que Buster's Mal Heart se montre pourtant le moins convaincant. Bien que compréhensible et cohérent dans ce type d'histoires dans lesquelles frontière entre la réalité et le rêve est très mince, l'aspect mystérieux à la limite du surnaturel peine pourtant à représenter autre chose qu'une métaphore filée sur la dualité de l'être humain et la destinée.
Ces scènes peinent à retranscrire sous un angle nouveau ce qui est pourtant très bien dépeint dans la majeure partie du film, alourdissant considérablement le propos sans réelle justification.

On retiendra surtout que notre héros est effectivement un naufragé. Naufragé de ses ambitions, de sa propre-volonté, de sa capacité d'adaptation au monde qui l'entoure. Dans sa quête de devenir "le dernier homme libre", Rami Malek nous emmène vers une réflexion que tous avons déjà eue, de vouloir tout plaquer pour ne plus avoir à répondre de personne. De simplement, un jour, claquer la porte derrière soi et de dire haut et fort "F*** SOCIETY" !

(6,5/10)