Ces quelques mots de Géraldine Chaplin dans Cria Cuervos de Carlos Saura (1976) résonnent à mes oreilles comme une petite clochette. Son tintement léger et régulier, entêtant, me plonge dans des souvenirs d’enfance lointains, imparfaits, grignotés par le temps... Des souvenirs joyeux je crois, même si le terme n’est pas vraiment adéquat. Disons plutôt, des souvenirs tendres. Tendres comme les joues de l’enfant que j’étais, plutôt espiègle mais bon élève. Tendres comme les sentiments qui nous traversent lorsqu’on a 7, 8 ou 10 ans. Tendres comme les regards que l’on pose sur nos camarades dans la cour de récré, ceux avec qui l’on se dispute des billes, des pogs ou des jojo’s. Tendres comme les premiers émois amoureux, incompris, inconséquents, indomptables. Disparus.
Il s’appelait Jonathan. Il avait la crinière blonde de ces enfants parfaits, qu’on ne croise que dans les publicités pour des céréales ou pour des jouets. La coupe mi-longue, une raie au milieu, du gel par kilos pour faire tenir des mèches que tous les gamins de mon âge tentaient d’imiter. Une petite bouche feutrée, aux lèvres d’une rare finesse, aussi fines d’ailleurs que ses sourcils blonds, aguicheurs et taquins. Le visage encore rond de l’enfance, d’où se dégageait tout de même une aura toute féminine, presque androgyne. Son regard charmeur, d’un bleu souverain, dissimulait mal une certaine mélancolie. Comment pouvait-il être triste, pensais-je, lui qui ressemble à tout ce qu’un gamin américain ou européen peut rêver d’être, lorsqu’on a 10 ou 15 ans ? Étais-ce d’ailleurs vraiment de la mélancolie, ou un air plutôt gauche et incertain, maladresse d’un jeune premier à qui l’on fait miroiter la gloire un peu trop tôt, mais qui ne sait pas encore sourire convenablement à l’intimidant objectif...
Jonathan était un ami sans le savoir. Un compagnon même. Une figure identificatoire sur la- quelle se projetait ma solitude de jeune garçon traversé par les inconstances de mon âge. Mais pas que. Jonathan était ce que je voulais être au plus profond de moi : une vedette sur qui l’on pose son regard, un beau garçon que l’on scrute lorsqu’il traverse la rue, un mecton qui en impose. Plus encore, je voulais être avec lui. Je voulais que nous nous connaissions, que nous soyons amis. Les meilleurs pour sûr. Inséparables. Je voulais jouer à ses côtés, combattre les sinistres clowns, affronter les profondeurs, chevaucher le diable, écrire encore et encore les chapitres d’une histoire sans fin. Toujours à ses côtés. Je crois bien que je rêvais aussi de l’embrasser.
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