Si on a vu les précédents films de Haneke, en particulier La pianiste, on est en droit de penser qu'ils relèvent d'un cinéma de dispositif, dans le sens où derrière une pseudo-intrigue de thriller, on a une à chaque fois observation froide, clinique, brute de personnages évoluant dans un milieu social précis, le punching-ball préféré de Haneke, la bourgeoisie adulte occidentale. Cette observation prend systématiquement la forme d'un épluchage lent d'une façade lisse, aseptisée, pour en extraire les refoulés, les secrets sordides, le crime originel ou le traumatisme originel.
Dans Caché, on a une fausse intrigue de vengeance, dont la progression ne se focalise pas sur ses conséquences mais sur la découverte progressive de ses causes. Le chemin de l'intrigue ne suit pas une logique de révélation, mais celle de sa verbalisation. C'est à dire qu'on comprend rapidement en gros les tenants et aboutissements du contentieux, mais demeure un sentiment malaisant d'indicible, de quelque chose qui n'est toujours pas clair, qui est caché (AHA!) même si les mots ont été dits.
Et c'est tout à fait l'espace du cinéma d'Haneke, et donc de ce film, celui de l'indicible. La caméra de l'autrichien fou met toujours le doigt sur quelque chose profondément dérangeant mais difficile à exprimer. La froideur implacable des plans fixes n'épargne jamais le spectateur, le mec a tellement confiance dans son matériau de cinéma qu'il ne s'abaisse à aucune emphase. Ce que certains appellent un cinéma théorique, c'est juste un cinéaste certain de ce qu'il montre, ou plutôt certain que ce qu'il montre est digne d'intérêt pour le spectateur.
En fait, il nous met un certain nombre de choses entre les mains (ou les yeux) sans jamais les expliciter, et c'est le refus catégorique de certains spectateurs de regarder ces choses en face qu'ils habillent en critique d'un cinéma théorique ou démonstratif : par exemple, dans le film, c'est un fait que le protagoniste est un bourgeois blanc et son ennemi un prolo arabe. Ca ne joue aucun rôle dans l'intrigue principale, n'empêche que c'est là. Faut-il y voir forcément une sorte de démonstration théorique et métaphorique des crimes de l'occident ? Ca n'est jamais explicité dans le film, mais il y aura toujours un critique négatif pour lui reprocher la lourdeur de la démonstration alors que c'est lui qui a choisi de le relever. Mais d'un autre côté, ce fait n'est pas complètement neutre lorsqu'on apprend les origines de l'histoire, ou même lors de certaines scènes (l'intervention de la police) ... bref tout ça est très ambigu, et c'est toute la grandeur du film de jouer à la fois le mystère et l'auscultation implacable des personnages.
Alors qu'à la fin du film tout a été dit et raconté par les personnages, rien ne nous préparait à cette scène finale d'une violence inouïe, qui nous montre par l'image et le son ce que les mots ont peiné à dire pendant 2 heures. C'est vraiment du pur cinéma, et du grand art.