CALL ME BY YOUR NAME (15,9) Luca Guadagnino, ITA, 2017, 131min) :


Chavirant mélodrame nous plongeant au cœur de l'été 1983, où Elio, jeune homme de 17 ans passe ses vacances dans le village pittoresque italien de Moscazzano, au milieu de la Lombardie dans une villa du XVIe siècle investit comme chaque année par ses parents. Le réalisateur Luca Guadagnino découvert avec le sulfureux Melissa P. (2005), adoubé par le somptueux Amore (2009) et boudé après le maladroit A Bigger Splash (2015) revient par le biais de l'adaptation du roman éponyme publié en 2007 par l'écrivain américain André Aciman.


L'auteur nous livre une délicate et bouleversante chronique d'un amour d'été initiatique, entre un adolescent lettré et joueur de musique classique issu de belle famille, où son père spécialiste de la culture gréco-romaine, professeur éminent et sa mère traductrice vont recevoir Oliver, un étudiant préparant un doctorat. L'arrivée de cet américain va bouleverser le destin d'Elio jeune homme mûr pour son âge mais assez candide aux choses de l'amour. Un postulat de départ qui nous replonge dans la cinéphilie italienne de Pier Paolo Pasolini et son vertigineux Théorème (1968) mais dont ici la douceur va s'immerger dans la fragilité des sentiments. Dès le générique et l'exposition de photographies de sculptures romaines et helléniques sous une musique jouée au piano nous savons que l'objet cinématographique proposé sera précieux. Une introduction raffinée qui va se poursuivre avec la découverte de la magnifique demeure et l'arrivée d'Oliver accueilli avec chaleur par les parents d'Elio, alors que celui-ci voit cette venue du haut de sa chambre, sans savoir encore que le séjour de cet étudiant mature et d'abord assez sûr de lui, va le faire grandir dans les prochaines semaines.


Luca Guadagnino prend le temps pour nous immerger de manière languissante dans ce microcosme bourgeois intellectuel, où l'on évoque la théologie, l'archéologie, les textes allemands, les partitions de musique sans que sa réalisation tente de nous charmer en gardant une certaine distance, comme lorsqu'on essaye de tuer le temps l'été entre sieste, lecture et piscine. Mais cette élégante mise en scène sophistiquée qui nous renvoie au cinéma de Rohmer ou Bertolucci, s'immisce en nous comme une étoile lumineuse pour faire briller ce qu'il y a de plus beau en nous, les vibrations du cœur, ses pulsations que l'on éprouve lorsque deux mains se frôlent où qu'un échange de regards fait vaciller nos jambes. Cette préciosité esthétique accompagne le jeu du chat et de la souris auquel se livre Elio et Oliver, deux âmes en mini shorts qui tentent de s'apprivoiser à coups de griffes, de baignades sur des corps humides et gorgés de soleil, de balades bucoliques à vélo, de danses suggestives, ou à travers des mots plus caressants avant que les âmes libèrent complètement les corps sans avoir l'impression de pêcher. Ici au milieu des vergers pas de fruit défendu, l'érotisme plane au-dessus des corps, quand en chœur après moult hésitations les vibrations valsent avec la même cadence, même si dans les années 80 les amants doivent se cacher pour s'unir, à l'abri des regards d'une société qui rejette encore cet amour homosexuel "interdit".


Le cinéaste utilise judicieusement le scénario finement écrit par James Ivory pour instaurer une superbe narration vaporeuse sur l'éducation sentimentale, le désir charnel et les tourments amoureux ressenti par un jeune homme baignés par la splendide photographie de Sayombhu Mukdeeprom donnant à cette aventure un lyrisme littéraire absolument délicieux. Avec habilité le metteur en scène nous invite à ressentir les mêmes élans, nous frissonnons avec eux, nous avons peur avec eux, nous avons aimé, nous aimons, nous aimerons encore comme eux. Notre chair est pris dans le tourbillon de cet amour dont on sait que l'allégresse est éphémère (comme le séjour d'Oliver) mettant fin de manière concrète à cet idylle de manière inéluctable dans un dernier acte éperdu et à la force émotionnelle d'une rare intensité, notamment lors d'une scène de confessions intimes à demi-mots pendant le monologue du père aimant et plein d'esprit envers son fils, comme une invitation à jouir des cadeaux de l'existence et du sentiment amoureux qu'il faut "chérir même dans la douleur plutôt que de s’en éloigner". Sans oublier l'un des génériques de fin les plus poignants de ces dernières années où le morceau aérien Visions of Gideon du gracieux Sufjan Stevens qui accompagne Elio dans un véritable abandon face caméra, où la nostalgie s'empare de lui lorsque "Tout souvenir est baigné de larmes", et nous laisse dévasté sur notre fauteuil, selon nos propres souvenirs amoureux incandescents ou emplis de cendres.


Cette magnifique œuvre solaire, puissante et mélancolique est transcendée par un casting épatant, charismatique Armie Hammer en apollon américain fantasmagorique et fragile et la révélation sensationnelle Timothée Chamalet troublant et émouvant un duo à l'alchimie parfaite bien accompagné par l'éloquent Michael Stuhlbarg en père très touchant et la lumineuse Amira Casar. Venez vibrer à votre tour à travers cette odyssée amoureuse, une somptueuse ode aux sensations universelles au sein de Call Me By Your Name. Subtil. Éblouissant. Sensuel. Déchirant.

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le 27 févr. 2018

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