L'ultra-réalisme, ou l'art de mêler la romance à l'intellect...

Un film absolument MAGNIFIQUE !


L'axe principal du film est la subtilité. Cette subtilité se traduit par des prises de plans timides, discrètes, maladroites, respectueuses de la pudeur d'un adolescent de 17 ans comme les autres. Une pudeur qui va nous maintenir en éveil tout au long du film (d'une durée considérable), envieux d'en avoir toujours plus, l'envie de les voir aller toujours plus loin ! Le réalisateur l'a dit lui même, on vit le film à travers le regard de Elio Perlman, et c'est pour ça, entre autre, que les scènes d'ébats sont passées furtivement, serte à travers des plans qui ne satisferont pas les gens qui s'attendaient à de banales scènes d'ébats homosexuels, mais d'une façon si épurée et délicate, qu'on en demande justement toujours plus, jusqu'à la chute de l'histoire, le départ de Oliver, et puis, plus rien... C'est d'ailleurs de là que vient les différentes musiques de piano que l'on peut entendre tout au long du film, et les nombreuses autres ! C'est en réalité les compositions de Elio Perlman qui sont mit en évidences, exposées, les spectateurs deviennent intrus dans son esprit ! Malgré ce que laisse penser certain plan, ce n'est pas du pur omniscient dont on a eu droit dans ce film, mais bien un point de vue interne ! Des yeux de Elio Perlman, un adolescent qui a décidé de nous montrer ce dont il avait envie ! D'où ces scènes d'intimités parfois frustrantes de délicatesse et de monotonie. Le réalisateur le dit lui même dans beaucoup d'interview...


Vous l'aurez comprit, Call me by your name, c'est avant tout la mise en place d'une atmosphère ultra-réaliste, le réalisme est vraiment exploité de part et d'autre du film, et ça, c'est ce qui a fait la force, et très certainement sa nomination pour l'Oscar du meilleur film, de ce dernier ! Et là est justifié la présence d'insectes, de bruits parasitaires industriels ou naturels dans des scènes qui paraissaient essentielles, respectables, et imperturbables de par leur importance ! Hors, Guadagnino n'en a strictement rien à faire, il nous pollue nos scènes d'échanges verbaux, il nous pollue les discussions sentimentales, ect... Et que dire de tous ces plans obstrués par les mouches, les cigales, les Italiens guelards, et autres bruitages loufoques ? Ça pose l'atmosphère, l'envers du décors initialement choisit, on s'y projette vraiment, dans cette Italie campagnarde des années 80, au beau milieu d'un domaine semi-fermier.


Concernant Elio Perlman, c'est dans sa psychologie que réside sa principale force, ce qui fait de ce personnage est chef d'oeuvre, à part entière du film. Je pense que l'on a tous vu que ce gamin a des manières étranges ! Le fait qu'il écrive le derrière en l'air, qu'il se tienne mal (le port des épaules notamment), il ne sait pas où mettre ses mains/bras qui sont régulièrement sujets à gestuelles anarchiques et injustifiées, il se meut bizarrement, il imite des positions sexuelles en présence d'objets symboliques, ect... Voici l'essence même du personnage ! Voilà pourquoi il a été nommé aux Oscars, car qui, quel acteur de son age arriverait à telle prouesse ? A faire un rendu si réaliste sans rentrer dans la caricature et le fou-rire général ?


Un film qui ne traite presque pas de l'homosexualité si on regarde plus en détails, même si on remplace Elio ou Oliver par une femme, le film serait exactement pareil, on peut considérer la différence d'âge comme la principale barrière entre les deux protagonistes, en fin de compte. Pour continuer sur la scène du premier rapport entre Elio et Oliver, il ne faut pas voir que l'arbre, mais le fait que la camera ne montre pas le cadre de la fenêtre. En effet, durant tout le film, les personnages sont dans des cadres (c'est limite si il y a justement des cadres, eux même insérés dans d'autres cadres), comme s'ils étaient emprisonnés, mais quand ils se rapprochent, ils sortent du cadre, comme lorsque Oliver va masser les pieds d'Eliopar exemple, il y a un cadre et il le traverse. Ensuite parlons un peu du malheureux "bassin d'eau" dans lequel notre Armie Hammer fait des "longueurs", ironique quand on sait que l'acteur avoisine les 1m95 ! Le but est de montrer l'évolution de leur relation amoureuse via les mouvements de l'eau, de son volume, de sa masse volumique. Au départ, ils boivent dans des carafes, ensuite ils se baignent dans une petite étendu d'eau bien fermée, là où Oliver va créer les vagues, le mouvement qui représente leur relation, m'éveil, alors que Elio reste immobile, fade et dénudé d'intérêt. Après, dans la rivière, après dans un étant, et enfin lorsqu'ils sont à la montagne en pleine randonnée, on voit une cascade, et l'eau qui en découle est partout dans l'air (l'eau est en 3 dimensions), c'est l'explosion de leur relation, une image de l'amour très poétique qui traduit bien la maladresse du "dosage" d'amour qu'apporte Elio à Oliver, Oliver sème des pistes (mouvements d'eau discret), Elio lui, donne tout, il ouvre littéralement son cœur, la cascade envoie valser l'eau de toutes parts, c'est le paroxisme de son ouverture sentimentale à Oliver.


Le rapport avec les statues grec se voit surtout dans la scène où ils sortent de l'eau une statue vieillissante datant d'une époque Antique, et qu'Elio la touche (au niveau des lèvres), exactement comme Oliver l'a fait pour lui, et il y a tout un parallélisme entre Elio et la représentation de la beauté chez les latins, car l'idéal de beauté est l'androgynie (éphèbe), et Elio représente bien ça (et pour les "amitiés viriles", les romains se mariaient entre hommes, même les empereurs romains ont épousé des hommes). En fait, c'est un message de plus que fait passer Elio à Oliver, après que ce dernier ait observé avec le professeur quelques statues typiques des années greco-romaines. Là où Elio essaye d'exprimer ses sentiments, de les traduire en gestes, Oliver apprend à les maîtriser (il sait très bien les montrer, puisqu'il est le meneur de la relation), ou du moins, il nous en fait une démonstration très brève en gardant son professionnalisme devant des corps sculturaux qui, au fond de lui même, lui donne terriblement envie, et éveille ses pulsions animales.


Pour la pêche, il y a énormément de significations mais la plus simple c'est qu'elle représente le fruit défendu. De plus, le fait que Elio pleure après qu'Oliver se soit joué de son fantasme, c'est également pour nous signifier qu'on a fait le pas de trop, nous et Oliver, en s'introduisant dans une intimité qu'il voulait garder secrète (alors même qu'il prône le statut de narrateur interne de sa propre histoire d'amour), une notion d'intimité renforcée par le fait qu'on se trouvait dans ce fameux grenier où il a emmené Marzia les premiers jours ! Ce lieu semble particulier pour lui, et le fait qu'on y fasse éruption, à cet instant "T", tout comme Oliver, est certainement à l'origine de la suite de la scène, une humiliation, des pleures, mais aussi un soulagement, le soulagement de ne plus avoir à cacher ces fantasmes au demeurant saugrenus.


Pour revenir sur les mouches, le fait que le réalisateur les ait gardé sert aussi la cause du destin funeste de leur histoire d'amour, la putréfaction, la pourriture, l’éphémère d'un amour "interdit" par l'opinion publique ! C'est comme le fait d'avoir placer un miroir lors de la première rencontre, entre les deux protagonistes, pour montrer le caractère double d'Oliver, caractères qu'on retrouve en fin de film quand on apprend qu'il va se marier (avec une femme visiblement), et la double désillusion de Elio, la première quand à la volatilité des sentiments de Oliver, et le plus important, sa bisexualité !


Les grains de la pellicule donne un aspect plus tangible à l'image (oui la pellicule peut être utile), les musiques originales ("Mystery of Love", de Sufjan Stevens, entres autres) qui expliquent beaucoup de choses, les différentes langues (il y a plein de jeux avec, notamment les échanges verbaux décadents et taquins de notre patience et de notre tolérance aux hautes décibels), le fait de montrer un portrait de Benito Mussolini afin de signifier que le réalisateur n'oublie pas le contexte historique de son histoire, l'Italie des années 80 (tout comme il faisait avec "A Bigger Splash"), la profondeur de champ, ect... Et surtout ce n'est pas un film sur l'homosexualité, c'est assez ghettoïsant comme terme, et il est absolument réducteur de catégoriser les films de la sorte ! D'ailleurs, je pense que le réalisateur à tout fait pour éviter ça, car il reprend aucun des codes des films queer (je n'aime pas ce terme, mais soit), et il n'y a pas de thématique "homosexuelle" à proprement parlé, habituellement présentes (qui sont d'un rébarbatif et d'un niais à souhait...) comme l'homophobie, le coming out, la marginalisation...


Le film est à propos d'un amour si fort qu'il déstabilise l'équilibre quasi-parfait de la vie quotidienne d'Elio. Oliver le perturbe, le frustre, il le plonge dans un cercle à la fois vicieux et dévastateur. Il est déchiré entre son amour et son envie de le haïr. Et ce dernier, de part son jeune âge, ne trouve qu'un seul moyen de l'exprimer : le désir, en réduisant drastiquement Oliver à la fonction d'objet. Alors, ne vous méprenez pas, il y a bien de l'érotisme dans ce film ! Mais qu'y a-t-il de plus puissant qu'un érotisme provenant des regards, des gestes, des sourires échangés entre les deux personnages ? Le film baigne dans ce désir charnel. Mais est-ce qu'une scène de sexe aurait été plus utile pour exprimer ça ? Honnêtement, je n'en suis pas si sûr ! Concrétiser ce désir par une scène de sexe aurait brisé la subtilité et la complexité des sentiments noués entre les deux protagonistes. Elio a des relations avec Marzia parce qu'elle ne représente presque rien pour lui, à part une amie, avec laquelle il a essayé de jouer avec la jalousie de Oliver. Entre Elio et Oliver, c'est tellement plus fort et confus.


Donc il faut allé voir ce film car il est extrêmement riche et regorge de détails sujets à interprétations, même si je n'ai pas tout explicité ici pour des raisons de flemme pure et dure, c'est l'un des meilleurs films de 2017 selon la critique, et pour moi, mon favoris tous films confondus.


Cordialement.

Od_Tralala
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le 6 mars 2018

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