Quand il y a consensus pour dire qu’un film est bon, on peut jouer au dissident et dire qu’il ne l’est pas, ou on peut se ranger dans les rangs de la majorité : Call me by your name est un bon, voire très bon, film. Il a beaucoup de qualités, et suscite, à en juger par les mines des spectatrices présentes dans ma salle (qui à part moi ne comptait que des femmes), de l’émotion.
Mais si le film m’a plu, il ne m’a pas beaucoup touché ; je ne l’ai pas trouvé vraiment sensible. Une chose m’a étonné : l’absence d’un véritable dérèglement amoureux. Chose rare dans un film sur l’éveil du désir et de l’amour à l’adolescence, qui traditionnellement en fait des tonnes sur la folie, le vertige de la passion : je m’attendais donc à voir du « Vénus toute entière à sa proie attachée...».
Mais pas de ça ici : la romance est intellectualisée, de purs esprits peu incarnés se rencontrent et s’aiment.
Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait cela : ils jouent à être de purs esprits. Elio joue son rôle de fils d’intellectuels, Oliver joue son rôle d’élève mi-modèle mi-cool. Dès lors, les deux partagent le goût de la retenue, du geste subtil et du signe implicite : leur trouble est intériorisé. A ce titre, la scène d’escapade en ville, juste devant le monument de la Seconde guerre mondiale montre bien ce jeu de séduction entre les deux personnages, à mi-chemin entre l’amour courtois et l’amour libertin : leur relation est construite autour de non-dits et de sous-entendus, qu’il n’y a pas besoin de dire parce qu’eux savent bien la nature du lien qu’ils sont en train de tisser.
Et j’en suis très gré au film : il est agréable de se faire raconter sobrement une histoire d’amour, sans effusion hystérique de sentiment : même Esther Garrel (qui semble vraiment avoir 17 ans, c’est fou, parce qu’elle en a 27) subit stoïquement sa déception amoureuse. Peut-être est-ce parce que le scénariste, James Ivory, est très âgé : qu’un homme de 89 ans écrive cette histoire d’amour adolescent, c’est cocasse et touchant.
Mais sa gestion du trouble amoureux finit tout de même par poser problème. D’autant que certains moments du film annoncent finement ce trouble : la scène autour de l’étymologie du mot abricot, par exemple, où Oliver est pris au piège à la fois du stratagème du professeur et à la fois de la mise en scène, qui construit un brillant jeu de miroir entre les personnages.
Sans aller jusqu’à l’hystérie, l’absence de réel déséquilibre dans un tel film pose problème.
« Arrête de jouer à l’hôte parfait » dit Oliver à Elio : c’est tout à fait de cela dont il s’agit, et le film ne parvient pas à se mettre en danger. Il n’en fait pas assez, ou alors, quand il s’y essaie, il en fait trop : pour en rester aux fruits porteurs de métaphores sexuelles, la scène de la pêche, à l’inverse de la scène de l’abricot, sonne comme un morceau de bravoure tape-à-l’œil.
Cet équilibre aurait pu être trouvé dans la séquence « escapade à la montagne », mais on a plutôt l’impression de voir deux copains un week-end à la campagne plutôt que deux amants vivant leurs dernières heures avant d’être définitivement séparés : cette séquence indiffère.
Trop raisonnable pour être obsédant, Call me by your name reste un beau film, qui laisse au spectateur de la place pour y projeter ses propres sentiments. C’est peut-être ça, la force du film et l’explication des mines émues de mes spectatrices : le film raconte l’histoire universellement partagée d’un amour qui a presque eu lieu.