C’est une splendeur, un émerveillement permanent à tel point que j’en aurais bien repris une heure supplémentaire. C’est le film le plus solaire et sensuel vu depuis très longtemps. Une sorte de croisement plastique entre le Conte d’été, d’Eric Rohmer, Bonjour tristesse d’Otto Preminger et Le jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica, le tout bien ancré dans une texture très 80′s – magnifique reconstitution par ailleurs, discrète, effacée.


 Je ne connaissais pas Luca Guadagnino. J’ai appris au sortir de la séance qu’il avait réalisé Amore (je me souviens uniquement de la bande-annonce et de la présence de Tilda Swinton, je crois) et A bigger splash dont j’apprends l’existence tandis qu’il est un remake semble-t-il assumé de La Piscine, film que j’aime passionnément, ce qui en fait pour moi un must see instantané. Il y a dans Call me by your name une sensualité, solaire et corporelle, un rythme endolori, qui m’a souvent fait penser au film de Jacques Deray. Pas étonnant que Guadagnino se l’ait réapproprié tant ils respirent pareil, sans pour autant avoir le même objectif puisqu’il y a le thriller d’un côté et la chronique estivale de l’autre. Plus étonnant en revanche de le voir lancer dans un projet de remake de 3h de Suspiria. Je préfère pas trop y penser car le film d’Argento est l’un de mes préférés du monde mais ça m’intrigue. Et même beaucoup pour être honnête, qui plus est après Call me by your name, qui semble à priori aux antipodes.
Le film se déroule à Créma, dans une immense propriété. Si la villa tient une place importante, le film ne mise pourtant pas son va-tout autour de cet unique lieu de convergence. Il y a en effet cette immense villa – dans laquelle on voudrait passer tous nos étés et avec les mêmes personnes, c’est dire si le film est doux, accueillant – mais il y a aussi beaucoup de déplacements, en ville, en forêt, dans les parcs. Il y a l’immense jardin de cette propriété, terrain majestueux aux contours invisibles, sa piscine, ses arbres fruitiers, pourtant Guadagnino filme beaucoup les intérieurs de cette demeure et un peu à la manière d’Ozu, dans ses perspectives, ses pièces et couloirs. Ça ne tourne pas autour d’un lieu dans le lieu, c’est plus impénétrable.
J’entend dire ci et là que c’est un cinéma bourgeois, mais il ne faut pas confondre entre filmer la bourgeoisie et faire un film bourgeois. Certes le récit se déroule essentiellement dans cet écrin mais il est tout sauf lisse, cadenassé, tout sauf embourgeoisé dans ses choix formels et sa construction. Ou bien ce serait comme dire que Chabrol faisait du cinéma bourgeois dans La cérémonie et Que la bête meure, ou Buňuel dans Le charme discret de la bourgeoisie et L’ange exterminateur. Ça n’a pas de sens. Ce sont des films qui bousculent et s’aventurent sans cesse.
De toute façon, les films se déroulant dans un cadre volontiers aisé ne m’ont jamais posé problème, au contraire. Quand Sofia Coppola fait Somewhere, c’est elle que l’on voyait à travers ce double portrait de fille et père cinéaste, c’était très émouvant. Ça me semble même infiniment plus honnête que le riche qui s’en va filmer le pauvre par plaisir exotique autant que par bienséance politique. Guadagnino filme chez lui, déjà, à Créma, en Lombardie. Et la grande demeure dans laquelle la quasi intégralité du film est tourné pourrait être la sienne ou celle de sa famille. C’est un scénario de James Ivory mais ça prend tous les attributs d’un récit autobiographique tant on ressent l’amour pour chaque personnage, chaque situation.
Le film fascine dans sa façon de raconter cet amour de jeunesse puisque c’est un amour en marge (homosexuel) mais jamais traité comme tel, c’est-à-dire que le film s’aligne sur l’ouverture d’esprit de cette famille. Cet amour-là est traité de la même manière que l’on raconte celui entre Elio et Marzia, son amour d’enfance, incarnée par une sublime Esther Garrel ou celui plus diaphane entre les parents d’Elio, toujours aussi amoureux, tactiles, volubiles, bienveillants, qualités que les années ne semblent avoir nullement entravées. A ce titre, la discussion père/fils finale – pourtant très simple car ça ne clignote pas, et tout ce qu’on a vu/vécu précédemment n’existe aucunement pour converger vers ce dialogue / cet aveu miraculeux – est un moment absolument bouleversant. Michael Stuhlbarg (A serious man, Fargo) m’avait toujours semblé hermétique mais là il m’a arraché les larmes.
Rohmer – puisque j’ai aussi beaucoup pensé à Rohmer, sans doute parce que les cadres sont très doux, les dialogues sont brillants et les personnages sont terriblement beaux – délimitait lui, souvent, ses aventures saisonnières au moyen d’un journal intime organisé dans sa temporalité puisque les jours ou les mois étaient comme des chapitres. Dans Call me by your name, la temporalité est nettement plus impalpable. Aucun indice ne sera offert si ce n’est cette précision initiale qui situe le récit quelque part en Italie, durant l’été 1983. Cette intemporalité choisie crée moins de l’universalité (Ce n’est pas Une histoire d’amour mais L’histoire d’amour entre Elio & Oliver voire, pourrait-on dire, L’amour d’Elio) qu’elle ne fige le récit dans une bulle, qui voltigera longtemps (le film dure 2h15 mais on ne les voit pas) avant d’éclater dans les flammes, hors-champ, de ce salvateur feu de cheminée, dans un dernier plan bouleversant, où brille de mille larmes Timothée Chalamet.
C’est simple je ne vois pas cinéma plus délicat aujourd’hui hormis si on pioche dans la filmographie d’Ira Sachs. Immense compliment tant ce dernier représente énormément pour moi. Déjà envie de le revoir. De retrouver la passion d’Elio & Oliver, la bienveillance de la famille Perlman, l’écrin solaire de cette villa ainsi que les doux morceaux de Sufjan Stevens (Trois sont utilisés) qui parsèment un film déjà très riche musicalement (notamment le beau All my way des Psychedelic Furs lors d’une fête, mais aussi Bach lors des saillies piano d’Elio) en lui offrant un supplément d’âme.
JanosValuska
8
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le 28 juin 2018

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JanosValuska

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