Cam
5.1
Cam

Film de Daniel Goldhaber (2018)

Voir le film

Un Doppelganger tout chaud, un sous-texte utile !

    C'est un premier film pour son réalisateur, pour sa co-scénariste, ce qui explique peut-être l'étonnante fraîcheur de cette bonne série B.
Dans les années 80, alors qu'il n'était pas encore partout dans nos poches et dans nos maisons, le thème du numérique semble avoir inspiré le cinéma de genre bien plus qu'actuellement. C'est la seule raison qui m'a poussé à regarder ce petit film. J'entrevois beaucoup de choses à faire sur ce thème et elles se cantonnent souvent à un petit concept terrifiant, comme dans le décevant « Unfriended » de Levan Gabriadze. Même en dehors du film de genre, le numérique et les réseaux sociaux sont peu développés. Ils sont là, dans le décor, dans les mains des acteurs, très utiles aux films d'action et d'espionnage. Ils ont droit à une réplique, une réflexion, mais sont rarement le sujet car ils sont en général vus comme une piètre imitation de la vie qui, elle, mérite d'être filmée. Vous pensez à « The Social Network », chef-d'œuvre de film moderne, mais il a pour sujet Mark Zuckerberg, et non les réseaux sociaux. Il y a bien « Men, women & children » de Jason Reitman, sauf que j'ai trouvé ça mauvais et totalement réac sur le sujet (on est envahis d'écrans, on s'isole, le porno c'est mal).
Là, Daniel Goldhaber nous propose un petit film de genre. En plus de sa modestie qui nous fait respirer, contrairement à une grande tendance des films Netflix à l'autocomplaisance, Cam a de réelles propositions. Le concept en lui-même n'est pas des plus originaux et de surcroît prévisible avec plusieurs longueurs d'avance. Mais il n'est pas une idée en l'air comme celle d'Unfriended. C'est le vieux classique toujours redoutable du Doppelganger, le double maléfique. Mais ici, c'est sa plausibilité au regard des avancées technologiques qui rend l'idée effrayante, une plausibilité dans un avenir très proche, de l'ordre de la semaine prochaine.
Et puis, là-dedans, il y a des idées de cinéma. Premièrement : une maîtrise des couleurs et des décors, tout simplement. Le rose bonbon de la chambre d'Alice ne correspond pas à son personnage, mais à celui de Lola, la camgirl qu'elle incarne tous les jours. Le rapport à l'apparence et à l'image, sans être décliné de façon lourde, est très bien décrit juste par le choix des couleurs. Ainsi, pas besoin de dialogue sur le vrai et le faux, de réflexion sur l'apparence et le miroir. Le rose dégueulasse dit bien tout ça en se posant en contraste avec la maison banalement blanche de petite ville américaine et ses motels miteux. Deuxièmement, la mise en scène du réseau social et du téléphone est assez efficace, c'est-à-dire qu'elle est lisible sans recourir à des raccourcis qui ne ressemblent pas à notre utilisation quotidienne. Les clicks et gestes et choix de photos sont tous représentés, savamment écourtés par de petites ellipses qui rendent la chose dynamique en plus de montrer l'habileté et la frénésie de la protagoniste pour ces pratiques. Cette narration par la pratique informatique suffit par la suite à faire passer les angoisses du personnage et expliquer ses actions. L'inévitable mise en abîme de la représentation à travers un double-écran en miroirs est utilisée à bon escient dans une esthétique qui ne fait pas abstraction des caractéristiques techniques des écrans et des mauvaises connexions internet, pour un résultat assez joli, et surtout cohérent.
Et puis là-dedans, il y a un propos social. Comme tout bon film de genre qui se respecte, ça parle de bien plus qu'une nana devant son écran. C'est là le bonus. Cam ne parle pas d'une ado qui parle à ses copines par skype ou qui drague naïvement un psychopathe par clavier interposé. C'est une cam-girl, une vraie. Qui fait des trucs sexuels. Presque à la manière d'un Paul Verhoeven dans « Showgirls », le traitement de ces personnages féminins et leur proximité avec la prostitution est intelligemment traité, et sans jugement. Là se trouve une réflexion intéressante sur un rapport à la sexualité par l'image, qui ne s'arrête pas à la fausseté du porno. Alice est une fille intelligente, qui a conscience de travailler son image, de la déformer, de vendre du faux, comme nous l'affirme très clairement la très bonne séquence d'introduction. Le film paraît se diriger vers une moralisation de la sexualité par internet mais joue sur nos clichés à ce niveau-là. Ainsi, ce lieu qui sert aux cam-girls pour différents « shows » s'apparente vraiment à une maison close, lieu des pratiques sexuelles explicites et aussi le seul lieu où Alice trouve complicité et amitié. Les cam-girls ont une bienveillance (relative) entre elles. Des femmes. Pas des misérables, des victimes de la société de l'image ou des désorientées. Des gens normaux qui bossent. Surprise agréable, s'il doit y avoir une leçon de morale dans Cam, elle porte sur la plateforme internet elle-même et des pratiques déjà décriées comme l'utilisation des données personnelles, non sur la pratique d'Alice. Elle se fait voler le fruit de son travail. Car oui, Cam-girl est bien un travail dans le film, qui, aussi ingrat soit-il, mérite le respect et la rémunération, à la manière de la prostitution, nous dit la mise en scène de la maison close. Les clients de cette prostitution, si on peut dire ça comme ça, n'échappent pas à certains clichés gênants, mais d'autres sont brisés, leur adressant aussi un certain regard bienveillant.
Enfin un petit film efficace avec juste ce qu'il faut de suspense pour laisser fondre votre glace à la vanille sur le canapé, et qui se met à penser internet et nos pratiques actuelles sans la facilité de la nostalgie ou de la bonne morale chrétienne.
Pequignon
7
Écrit par

Créée

le 3 déc. 2018

Critique lue 370 fois

1 j'aime

Pequignon

Écrit par

Critique lue 370 fois

1

D'autres avis sur Cam

Cam
Moizi
1

Mais fous-toi à poil !

Bon il y a clairement un truc que je ne comprends pas, si tu fais un film sur l'univers des filles qui se foutent à poil devant leur caméra pour inspirer toute une bande de jeunes mâles dans leur...

le 26 nov. 2018

15 j'aime

9

Cam
Infinico
7

Lola es-tu là?

Un soir où je ne savais pas quoi regarder, je me suis baladé sur Netflix et un film m'a tapé dans l’œil: Cam. Il me semble que c'est le premier film de Daniel Goldhaber et j ai tenté l'expérience:...

le 1 déc. 2018

11 j'aime

3

Cam
Mathieuge
4

Critique de Cam par Mathieuge

L'idée de base est assez originale, l'univers de la cam bien exploité, malheureusement ça traine en longueur et le film perd vite en intensité. Prévoir du Doliprane pour supporter les bruits de...

le 17 nov. 2018

8 j'aime

Du même critique

Girl
Pequignon
4

Moi mon corps mon apparence

*Girl* est un film contemplatif qui s'évertue à rester centré son héroïne dans tous les poncifs de films sur la "différence" qui comptent de nombreux grands moments de cinéma (*Boys don't cry,...

le 15 oct. 2018

17 j'aime

6

Anon
Pequignon
7

A oui

Il y a du très bon et du très dommage dans Anon. Le très bon prend finalement le dessus une fois une nuit passée à digérer ce film. Comme beaucoup de films de SF Netflix de cette dernière année, il...

le 5 mai 2018

17 j'aime

5

Un 22 juillet
Pequignon
5

Au poing puis au violon

C'est du sur-mesure pour Paul Greengrass, qui aime relater des événements réalistes voire réels. Surtout qu'il y a une scène scrupuleusement alléchante de fusillade pour sa caméra au poing et son...

le 14 oct. 2018

16 j'aime