Était-il inévitable que Camille Lepage fasse l'objet d'un film biographique ? Tous les ingrédients semblaient en effet réunis pour construire un énième "récit de la transformation de soi", ces mythes qui envahissent aujourd'hui nos écrans. Nous pourrions résumer leur synopsis ainsi : "pour pouvoir devenir pleinement vous-mêmes (et être heureux) vous devez aller au-delà de ce que l'on pense de vous. Vous devez vaincre les obstacles et les contradictions, croire en votre force intérieure, vous donner corps et âme dans quelque chose qui vous ressemble vraiment. La réussite ne dépend que de votre motivation".
L'une des premières séquences du film, où Camille se fait rembarrer pour son manque de style, nous met sur la voie. Dans ces récits, le mouvement, et son corollaire le travail, tiennent une place primordiale, puisque dans cet optique l'accomplissement de soi est la récompense d'une telle prise de risque.
Camille Lepage était donc la candidate idéale : fauchée dans le cœur de sa passion, sa fin prématurée ne pouvait que mieux souligner l'ampleur de sa détermination.


Et pourtant le changement sera abrupte. Après cette première séquence, nous sommes soudainement projetés au cœur de la Centrafrique, au milieu d'un conflit dont les enjeux nous dépassent. Les premiers contacts avec les habitants sentent bon l'exotisme classique. On nous décrit Camille comme une jeune fille un peu naïve, dont le manque de réalisme se pardonne facilement vu son implication. Tout au long du film se développe l'idée selon laquelle Camille ne "rencontre" pas vraiment les habitants de la Centrafrique. Elle est derrière l'objectif, ils sont devant. Eux ils vivent ici et n'ont pas d'alternative. Elle, elle peut toujours rentrer en France. Cela sera même un passage obligatoire, pour saisir la vacuité de son existence hors de sa passion. Loin de nous présenter les reporters comme risquant leur vie pour être "au cœur de l'action", ils nous apparaissent plutôt ici comme étant les plus éloignés de la vérité. Même les bons sentiments ne suffisent pas, et "la distance" tant évoquée n'est que le fruit de l'imagination : comment prétendre se mettre à leur place ?


Quand l'intérêt journalistique s'évente, Camille persiste dans son choix. S'agit-t-il d'un comportement "irrationnel" ou d'une preuve de sa passion ?


Une impression de déjà vu saisira peut-être les gens s'intéressant à "Camille". Sa structure semble aisément identifiable, on a l'impression de naviguer en terrain connu.
Et pourtant j'ai été agréablement surpris par les sensations que laissait le film. Quelle(s) étiquette(s) pouvons-nous attacher à un tel portrait ? Est-ce une ode à la poursuite de nos idéaux ? Une dénonciation de la barbarie humaine ? Quoi, un film féministe ?


A mon sens, la réponse est contenue dans le titre du film.
Le film dresse deux ou trois choses que l'on sait d'elle, mais rien ne semble pouvoir expliquer la singularité de Camille. Quelques messages (politiques, psychologiques) flottent parfois au milieu des anecdotes, sans que le film devienne un portrait à charge.
Camille nous apparaît plutôt comme une humaine comme les autres, perdue dans la masse.
Je n'ai pas ressenti de morale en voyant "Camille". J'ai seulement eu l'impression d'avoir une fenêtre ouverte sur la passion d'un autre. Et c'est tant mieux : étant derrière l'écran, je n'aurais jamais pu avoir la prétention de comprendre Camille, de la réduire à un combat, à des idéaux.


"Camille" m'est donc apparu comme un film honnête, d'une sobriété qui a l'avantage de laisser le dernier mot au spectateur, seul juge à même de trancher sur la charge du film.

Mellow-Yellow
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le 27 oct. 2019

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