J'avais beau m'attendre à un plaidoyer plutôt sombre, rien ne me préparait à la torgnole assénée par ce film incroyablement bien interprété. Et je vais commencer par là : la force d'interprétation des acteurs, dont tout du long je me suis demandé s'ils étaient des professionnels géniaux ou excellemment bien dirigés. La performance du bébé de l'histoire, qui tient à peine debout, ferait pencher pour la seconde option, mais tous les intervenants atteignent un niveau de vérité (même s'il vaudrait mieux dire vraisemblance) tel que c'en est perturbant. On perd complètement de vue le fait qu'on est entré dans une fiction, si bien que les tribulations dramatiques de ces personnages emportés dans le maelstrom de la misère - financière et morale - passent toutes les barrières qu'on pourrait ériger pour échapper au pire et percutent la rétine comme un obus. Drôle de façon de célébrer l'année écoulée depuis que Beyrouth est parti en fumée. Le film nous plonge dans le quotidien éprouvant de personnages un peu à la marge de tout, mais finalement d'un modèle assez commun : sans papiers, sans boulot, sans avenir, sans espoir, mais avec toute une palanquée de gamins à nourrir et de parasites ricanants leur tournant autour. Comprenez que les innocents n'ont dans ce monde aucun repos. Il n'existe pour eux aucun havre où se mettre à l'abri et l'adversité les pousse à des extrémités insoupçonnées. Quelques scènes marquent de façon indélébile :
cet enfant de 12 ans, petit pour son âge, qui trimballe dans un monde d'adultes opaques un bébé joufflu pesant la moitié de son poids, le long de routes grouillantes et dans des quartiers vaguement menaçants. Cette mère privée de son bébé qui presse son sein au-dessus d'un lavabo
. La détresse s'incarne de manière tellement poignante qu'on se sent s'enfoncer progressivement dans une obscurité où menace l'asphyxie. Après les acteurs et l'histoire, il faut encore saluer la poésie et la pertinence des plans de coupe, qui constituent un film dans le film, quasiment. Et la structure temporelle qui dévoile petit à petit toutes les épreuves que Zain, le gamin de 12 ans si dur avec les profiteurs et si tendre avec les faibles. Et dans toute cette obscurité émerge la nécessité de s'accrocher à ce qui rend les gens humains, comme un fil rouge : sans douceur, sans bienveillance, le monde n'est qu'un coupe-gorge où les plus petits doivent s'endurcir ou mourir. Cela va sans dire, mais qu'un film le redise avec autant de fougue et de militantisme, ça ne peut pas nuire. Loin de là. Mention spéciale pour la toute dernière image, qui vous expédie à l'autre bout du canapé comme par magie, parce que c'est quasiment de cela qu'il s'agit. Ce prix du jury à Cannes me semble plus qu'amplement mérité.