LA VÉRITÉ SI JE MENS 2, VERSION FILM NOIR

Arnaques, vengeance, pègre, amour, reconstruction, jalousie, envie, argent, écologie et surtout : puissance, richesse, malheur ce qui, fait selon le proverbe arabe central du film, la valeur d'un homme.


Un film néo-noir, aussi bien dramatiquement que visuellement. Ce long-métrage français (réalisateur, acteur, musique etc.) prend vie autour de véritables "gueules" du cinéma français comme Gérard Depardieu, Benoît Magimel, Moussa Maaskri, Patrick Catalifo et même Dani qui interprètent avec brio ce drame. Malgré l'épaisseur inégale des protagonistes, le réalisateur arrive à dresser de manière réaliste l'ascension rapide d'un groupe restreint d'entrepreneur/arnaqueur et les conséquences inéluctable qu'elles induisent.


ANALYSE FILMIQUE (SPOIL)


Si en toile de fond apparaît la dénonciation de la marchandisation de l'écologie suite au protocole de Kyoto (signé en 1997, entré en vigueur en 2005 plus ou moins respecté aujourd'hui), le corps du film ne se concentre nullement sur ce sujet. Il se concentre non pas sur l'objet mais sur le mode: les marges des bons élèves qui rejettent moins de CO2 sont rachetées par l'État pour être revendu/octroyé aux mauvais élèves, les protagonistes décident de créer leur propre boîte de trading, faisant immédiatement écho aux self-made men du Loup de Wall-Street. Ainsi, le réalisateur, par souci de réalisme et de crédibilité, n'hésite pas à jargonner/gloser sur les termes techniques propre à la finance de cette arnarque afin de donner une ampleur à l'action, un contexte solide.


Film noir d'un genre nouveau qui en adopte les codes (réalisme, femme fatale avide de pouvoir/vengeance, manipulation mafieuse, corruption policière, ville de nuit, personnage principal marqué par la vie, sombre et relativement solitaire et taciturne) mais les recycle également. Le pessimisme, omniprésent dans ces films des années 1940, laisse place à l'envie de conquête.
Pas de noir et blanc, contrairement aux des classique du genre, même si leurs influences est bien présente. C'est un long-métrage au style visuel bien affirmé à la palette chromatique sombre : noir, gris, bleu-foncé, bordeaux. Le noir et blanc, outre sa valeur esthétique, permet par sa radicalité de donner de l'ampleur/l'épaisseur à l'action dramatique et d'offrir des contrastes, des clair-obscurs bien particuliers, en témoigne Elephant Man ou La haine. Carbone, tourné en couleur, poursuit le même objectif et use de la lumière ou plutôt de son absence. C'est un film nocturne, tantôt des nuits parisienne festives dessinant une pénombre colorée de néon, tantôt des réveils à la pénombre plus naturelle, au seuil de l'aurore lorsque le soleil déjà levé, tarde à s'exprimer franchement. Le spectateur, tout comme le personnage principal constamment derrière ses lunettes de soleil, est enfermé dans la nuit. Ainsi, plutôt qu'un contraste le réalisateur décline la noirceur. Pour l'image, Pierre Soulages fait de même, en opposant dans ses tableaux le noir brillant et le noir mate. Cet enfermement et cette noirceur fait pensé également à un autre film français, La mécanique de l'ombre.


De cette "monochromie" ressort une oppression, visuelle comme on a pu le voir, mais également spatiale. Ainsi, de manière inéluctable : la spatialisation de la détresse des personnages, dû à leur actions délétères et cumulatives de surcroît. Un rouage qui les poussent à s'enfermer/s'isoler. Cela s'intensifie par le cadrage très personnel posé sur le personnage principal (plan serré sur lui et floue sur l'arrière plan, y compris les personnages lui adressant la parole).
Un véritable travail sur la tension est mené dans ce film, en articulant/modulant la rapidité de la succession de plan avec la lenteur et l'étirement de ces derniers. Deux scènes traduisent particulièrement cette ambition.


Une première scène, qui s'étale sur plusieurs minutes, développe la cérémonie de remerciement du personnage principal à laquelle il convie ses collaborateurs et sa mère, dans un restaurant huppé parisien. Après un discours élogieux, le malaise s'installe lors de la prise de parole et plus de l'un de ses collaborateurs les plus proches fortement alcoolisé. La gêne s'installe autour de la gestion de cet altérité dessinée par l'alcool. Tout comme la gestion difficile, de l'homme-singe dans un contexte similaire, brillamment mise en scène dans The square. De même, la lenteur des plans fixes renforcent l'intensité de l'action et place le spectateur dans la même situation que les convives impuissants.


La seconde scène, beaucoup plus rapide mais non pas moins intense car met en scène un combat, féminin. Féminin, non seulement par l'identité des agresseurs et de l'agressée mais également dans la forme que prend cet affrontement inégal, touchant principalement aux avatars (stéréotypée) de la féminité, de la séduction que représente la chevelure. Malgré une tentative, du réalisateur de dessiner trois portraits de femmes, inégaux qui plus est, le réalisateur en voulant souligner la diversité des possibles (femme fatale, amoureuse, mafieuse, protectrice) verse dans la présentation tiroir sans donner une réelle épaisseur dramatique au personnage (en témoigne le personnage bâclé de son ex-femme). Pour en revenir à la scène, la querelle prend place dans un appartement d'un quartier aisé de la capital, et est filmée derrière la baie vitrée reflétant la Tour Eiffel. Ainsi, la violence n'est pas occultée, on devine/imagine les coups portés à travers le reflet. L'imagination du spectateur sur l'ampleur du molestement fait le reste. Encore une fois, le spectateur est placé en situation d'impuissance, derrière la fenêtre. Le réalisateur évite l'emploi de caméra à l'épaule, accusant plus directement les coups (sûrement moins réaliste si la chorégraphie et la formation des acteur pour une telle scène n'est pas au rendez-vous) et privilégie un plan fixe et dessine le constat alarmant, qui va nous tenir en haleine jusqu'à la fin du film, d'un paroxysme violentaire qui ne semble jamais atteint jusqu'à ce que.

Moodeye
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le 16 nov. 2017

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