Le film s’ouvre sur Plantu qui explique avoir eu la chance de croquer tous les présidents de la Vème République et présente quelques-uns de ses dessins mettant en scène, conjointement ou alternativement, Jacques Chirac en sumo de sagesse, Nicolas Sarkozy en nain excité et François Hollande toujours niaiseux. Déjà le rire s’esquisse.
Stéphanie Valloatto nous emmène à la rencontre de dessinateurs humoristiques ou satiriques du monde entier. Des hommes et des femmes qui nous racontent leurs parcours, leur métier et les difficultés parfois qu’ils ont à l’exercer. Des hommes et des femmes libres où qu’ils soient tant ils n’hésitent jamais à exprimer leurs réactions face aux absurdités et aux horreurs de nos sociétés, du bout de leurs crayons et de leurs pinceaux. Même si tout, loin de là, n’est pas toujours publié…
Plantu ouvre le film et on revient souvent à lui. Figure tutélaire d’une association internationale parrainée par l’ONU, Cartooning For Peace, il entretient de nombreux liens avec des collègues de tous les continents. Filmé lors d’une interview radio autour d’une double page du Monde qu’il anime en récupérant auprès de ses confrères internationaux leurs dessins, il cite un extrait fort à propos dans le climat actuel : « Les divisions creusent parfois les difficultés dans les sociétés plus qu’elles ne les surmontent ». Le documentaire laisse la parole libre à ces artistes et tous vont nous interroger, nous inviter à réfléchir.
Le documentaire nous emmène d’abord en Russie, où Mikhail Zlatkovsky évoque les difficultés qu’il a à s’exprimer tant la censure l’a parfois privé de publication au point qu’il envoyait gratuitement certains croquis hors du pays. A New York, où Jeff Danziger se sent libre et prend un malin plaisir à croquer les grandes figures politiques de son pays et de son temps : « la caricature est une métaphore visuelle, faite pour divertir ». Ses dessins sont plus que ça : percutants, fins, parfois étonnamment libertaires pour un américain. Après une longue partie de carrière à Cuba, Angel Boligán Corbo travaille aujourd’hui à Mexico sous le couperet d’une censure plus lâche qu’en son île natale mais toujours présente. Il n’en a cure : on lui a conseillé de ne s’attaquer ni au pouvoir, ni à la police, ni à la Vierge de Guadalupe, il dessine les trois. Ses dessins sont magnifiques, de véritables œuvres. Autour du monde, on vogue ainsi à leur rencontre, chacun dans leur pays, chacun sa propre histoire imbriquée dans celle de sa patrie. Nadia Khiari a commencé à croquer la révolution tunisienne pour sa famille et ses amis en leur proposant d’accepter l’invitation d’un petit chat de son dessin nommé Willis. Très vite, Willis a eu plus de neuf cents amis. Elle l’a depuis peint sur de nombreux murs de Tunis, jusque sur les murs d’une maison de la famille Ben Ali. Pour elle, « un crayon (…) ça a un impact ! » Chacun d’un côté du mur, Michel Kichka en Israël et Baha Boukhari en Palestine dessinent naturellement pour la paix. Sans illusion mais avec des rêves, beaucoup d’amour et d’humanité. « On n’est pas des politiciens, on n’a pas de solutions aux problèmes, on peut se permettre d’être optimistes », sourit Michel Kichka. Pas de réel fil narratif au documentaire, chacun se présente tel qu’il est. En Afrique, l’ambiance est détendue. Damien Glez, franco-burkinabé, a rejoint son collègue Lassane Zohore en Côte d’Ivoire, et tous deux comparent l’humour de leurs peuples voisins. Au fil des témoignages, souvent accompagnés de dessins drôles, durs, rêveurs, violents, magnifiques, on découvre Pi San en Chine, Rayma Suparni au Venezuela, ou encore Menouar Merabtene et Baki Boukhalfa en Algérie. On se réjouit d’une évidente visite au Danemark, auprès de Kurt Westergaard, l’incontournable caricaturiste du Mahomet au turban en forme de bombe. Visite trop courte, trop rapide. C’est à la fois la force et la faiblesse du film. Ce nombre d’intervenants mais la brièveté de leur temps de parole. De tous, on aimerait approfondir la rencontre.
Bien sûr ce film documentaire marque surtout de par l’actualité. Après l’attentat dont ont été victimes plusieurs membres de Charlie Hebdo, les mots de chacun de ces caricaturistes résonnent avec un écho particulier. Alors on a envie de leur dire : « Continuez à dessiner les gars ! Continuez à vous amuser en nous amusant ! Continuez d’être ces fantassins du rire et de la spontanéité ! Merci ! » Et on réalise combien on souhaite que tous continuent effectivement de nous divertir et de nous élever contre toutes les injustices, de combattre la bêtise et l’ignorance. Qu’ils continuent patiemment de nous apprendre à vivre ensemble. Pour la paix qu’on ressent à leurs côtés, eux qui sont si forts. Pour ce formidable espoir qui nous est envoyé par ces hommes et ces femmes humbles et intelligents et qui, malgré la distance qui les séparent, disséminés qu’ils sont de par le monde, se ressemblent ! Et nous rassemblent. Un film léger mais éminemment citoyen.

Matthieu Marsan-Bacheré

Créée

le 12 janv. 2015

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