En regardant « Carol », cela m’a donné l’impression de feuilleter négligemment un numéro de Vogue des années 50 et son apparente illusion d’un bonheur en papier glacé, délivrant de pages en pages un univers raffiné, classieux, lisse et totalement figé. En matière de reconstitution de ces années molles, Todd Haynes excelle tant sur la forme que sur le fond.
On ne peut qu’être formidablement surpris par le magnifique ouvrage de Sandy Powell (« Entretien avec un vampire », « Gangs of New York »…) sur les costumes, matières, formes, accessoires, bijoux, le travail de recherche y est soutenu et rejaillit à l’écran. Le même soin est apporté aux décors, à la photo (dont on peut s’agacer toutefois du léger piqué intentionnellement très old style mais tout de même), au choix musical. L’ambiance y est donc parfaitement recomposée et n’a rien à envier aux films de l’époque.
Cette plastique soignée séduit immanquablement et se doit de servir le film, c’est pour le moins ce que je me disais au début. En fait, très vite elle apparaît presque comme le seul attrait du film. En adaptant le roman de Patricia Highsmith, dont la trame est assez vide de sens, Todd Haynes se devait d’être percutant, là il n’est que fuyant (comme il l’avait fait déjà pour « I’m not there »). Certes ses cadrages sont le plus souvent honorables, le fait de filmer indirectement ses scènes (derrière une vitre, dialogue dont l’un des interlocuteurs est hors champs…), ses contre plongées sur la ville, l’enchainement de plans pudiques (tellement lourde de sens la scène de la main sur l’épaule…) séduisent. On pense à Slim Aarons, Fred Herzog, entre autre, références toutes symboliques de ces années là. Mais par ce biais là aussi, il vitrifie son histoire.
Car certes, l’homosexualité, féminine, était proscrite et tabou, on le comprend bien puisque le message n’a de cesse d’être martelé ici, mais était-ce vraiment le prisme qu’il fallait choisir pour faire un film qui se tienne ? Il aurait fallu y sentir plus de fièvre, de passion, et surtout de conviction. Car jamais, on ne ressent l’impérieuse nécessité de ces deux femmes à vivre leur idylle, ni véritablement la force de cet amour qui les pousse à braver l’interdit. Elles semblent poser histoire de, avant de reprendre leurs routes… Et s’il n’y avait pas ce regard de Carol à la toute fin, on n’y croirait pas du tout !
Le casting pose souci également, entre Cate Blanchett au tempérament à la Katharine Hepburn qui se le joue (fort bien tout de même) femme bafouée à la Lana Turner, Rooney Mara qui n’en peut plus de rentrer dans le tailleur pour drame de Audrey Hepburn, le référentiel pèse lourdement. Kyle Chandler est peu inspiré, quant aux autres personnages ils sont minorisés, ce qui est dommage quant on imagine le rôle clé qu’aurait pu être Abby.
Toutefois, le film, tout calibré et sage qu’il soit, se laisse plaisamment voir, ni plus ni moins.
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