Carol
6.9
Carol

Film de Todd Haynes (2015)

Chef d'oeuvre très empaqueté mais chef d'oeuvre quand même

D'abord une réflexion que m'a inspiré Carol : les amours homosexuelles effectivement consommées sont moins aliénantes, plus égalitaires (sinon plus décentes), quand elles sont féminines.
Entrons dans le détail du film. Durant les premières minutes, le réalisateur prend le temps d'installer le New-York du début des années cinquante et le cadre de vie de ses deux héroïnes; cela, je pense, dans un souci d'introduire son sujet en douceur, de la façon la moins sulfureuse possible. J'ai alors un peu craint de m'ennuyer et même de m'assoupir dans cette atmosphère feutrée, assez bourgeoise, corsetée, toute en regards et en non-dits. Cependant, en quelques jours (entre Noël et Nouvel An), l'histoire prend tournure, des paroles sont dites, un voyage à deux aussi insolite qu'impromptu s'effectue et... on s'intéresse alors vraiment à cet amour qui, à peine né, foudroie le coeur et le quotidien de ces deux femmes, l'une de 28-30 ans, très vraie, très touchante, l'autre de 40-45, sorte de rêve improbable, mais toutes deux très belles, voire éblouissantes, puisque jouées (et merveilleusement) par Rooney Mara (moderne réincarnation d'Audrey Hepburn) et Cate Blanchett, actrice sublime et chiccissime s'il en est.
On est aux antipodes de "La vie d'Adèle" . Même quand Todd Haynes filme leur première grande scène d'amour charnel, leurs deux corps nus enlacés, il parvient à faire coexister pudeur, tendresse et passion, sans que la prise de vue ne paraisse hypocrite, ampoulée ou ridicule. La réalisation s'appuie, il est vrai, sur une très solide adaptation scénaristique d'un des premiers romans de Patricia Highsmith (d'abord publié sous pseudonyme, en 1952, du fait de son thème lesbien), adaptation qui décrit très bien l'évolution et les péripéties de cette relation amoureuse particulière, ainsi que les obstacles ou difficultés qu'elle rencontre dans le cadre d'une Amérique des années cinquante très puritaine et conventionnelle, même dans ses milieux les plus évolués. Ce scénario a le concret du vécu, le Patricia Highsmith qu'il adapte étant très probablement d'inspiration autobiographique.
Il faut mettre aussi au crédit du film une excellente utilisation de la musique (notamment classique) qui souvent supplée aux mots, tout en participant au climat particulier (chic bon genre, raffiné, mais déterminé, convaincu) qui caractérise cette histoire. Et tandis qu'elle se déroule (sur presque deux heures), on prend progressivement conscience qu'on est en train de suivre un vrai chef d'oeuvre du genre, l'égal ou quasiment de Mort à Venise et de Brokeback Mountain. On en vient même à se réjouir que cette love affair, hors normes pour l'époque (et qui, à mi-chemin du film, paraissait compromise), connaisse contre toute attente une fin heureuse.
Bref, l'ouverture du paquet exige un peu de patience mais... un chef d'oeuvre est à l'intérieur.


P.-S. : Quelque trois mois après la rédaction de cette critique, je réalise, en comparant Carol à d'autres opus de Mon Top 250 films (tous genres et années confondus) que "9" pour le Todd Haynes, c'était sans doute un peu surnoté. Je lui retire donc un point, ce qui le fait passer de "chef d'oeuvre" à "très bon film" (dans mon barème de notation).

Fleming
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2016, Les meilleurs films LGBTI+ et Les meilleurs films sur le féminisme

Créée

le 14 janv. 2016

Critique lue 474 fois

9 j'aime

2 commentaires

Fleming

Écrit par

Critique lue 474 fois

9
2

D'autres avis sur Carol

Carol
Velvetman
8

Two Lovers

Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...

le 13 janv. 2016

128 j'aime

26

Carol
Sergent_Pepper
8

Very blossom girls.

Un lent mouvement de caméra le long des façades, de celles où se logent ceux qui observent et qui jugent, accompagnait le départ de Carol White qui s’éloignait Loin du Paradis. C’est un mouvement...

le 31 janv. 2016

124 j'aime

7

Carol
JimBo_Lebowski
7

Angel

Il y a 20 ans Todd Haynes choisissait comme ligne de conduite avec Safe puis Far From Heaven de filmer la femme au foyer américaine, de sa capacité à exister dans un milieu ne favorisant pas...

le 12 janv. 2016

52 j'aime

12

Du même critique

Le Sommet des dieux
Fleming
7

Avec la neige pour tout linceul

J'ignore à peu près tout des mangas. Je n'aime généralement pas les films d'animation, les dessins retirant, selon mon ressenti, de la vérité au déroulement filmé de l'histoire qu'on regarde. Et je...

le 24 sept. 2021

36 j'aime

19

Amants
Fleming
5

On demande un scénariste

J'ai vu plusieurs films réalisés par Nicole Garcia. Le seul qui me reste vraiment en mémoire est Place Vendôme que j'avais aimé. Elle, je l'apprécie assez comme actrice, encore que je ne me souvienne...

le 17 nov. 2021

33 j'aime

16

BAC Nord
Fleming
6

Pour les deux premiers tiers

Les deux premiers tiers du film sont bons, voire très bons, en tout cas de mon point de vue. J'ai trouvé ça intéressant à regarder et à suivre. Et même passionnant. Est-ce outrancier ? Je ne connais...

le 16 août 2021

31 j'aime

19