La caméra est pourfendeuse de vérité cinématographique. C'est vrai.


Cela justifie-t-il de tomber dans un voyeurisme exacerbé, rendu d'autant plus dérageant du fait que le traumatisme provoqué par l'événement raconté est bien réel ? C'est une question que Carré 35 a le mérite de poser.


Sa réponse, me pose d'avantage problème.


Oui, certaines choses se doivent de rester intimes. Non, le cinéma n'est pas un sacro-saint moteur de la vie qui doit se soustraire à la souffrance individuelle de ceux qu'il filme, surtout lorsque celle-ci est si violente qu'elle demeure incompréhensible à quiconque ne l'aurait pas vécue. Mais cette violence, cette souffrance des parents, n'est pas le sujet du réalisateur. Lui veut la vérité. La vérité à tout prix : qu'importe que le fait de la donner fracture l'âme de ceux qu'il filme. Il les forcera. Parce qu'après tout le Cinéma est plus important que tout le reste pas vrai...


L'image, l'image et sa vérité, l'image avant la douleur, l'image avant l'inavouable, l'image avant l'oubli nécessaire pour panser les plaies. Le Cinéma avant l'humain. Je te filme, je t'expose : ne t'inquiète pas, les inconnus te jugeront. Ton accord m'importe peu. Tes pleurs aussi. Tu peux pleurer maman, vas y pleure cher papa, je ne m'arrêterai pas de t'assaillir de questions auxquelles tu n'as pas envie de répondre, et auxquelles tu n'as pas à répondre. Le public sera juge. Tu finiras par parler, ta culpabilité parentale t'y obligera. Tes larmes ne m'intéressent que s'il m'est possible de les filmer tandis que tu agonises sur ton lit d’hôpital cancéreux. Avoue juste avant de mourir, ça créera de la dramaturgie.


Carré 35 est un documentaire si prétentieux, si abjecte, si convaincu de la nécessité de sa propre démarche, qu'il se permet de jeter en pâture à la place publique des personnes qui ont souffert toute leur vie de quelque chose qu'ils ne peuvent pas raconter. Qu'ils ne veulent pas raconter. Mais qu'importe, le réalisateur le leur volera pour mieux l'exposer à des regards étrangers. Ici, le cinéma est devenu une arme, qui réveille volontairement une douleur intimement enfouie, pour le simple plaisir artistique de la raconter à des inconnus. Car la vérité est plus importante que tout le reste. L'image est plus importante que tout le reste. Désolé maman, mon film est plus important que ton traumatisme. JE suis plus important que ton traumatisme. J'espère que ça ne te dérange pas que je m'en serve pour gagner un peu d'argent ? Pour me faire applaudir en tant que cinéaste ? Tu finiras par être d'accord : tu es ma mère.


Que ce film ait des qualités cinématographiques est une évidence. Que le réalisateur ait besoin de se reconstruire à travers cette réalisation aussi.


Mais l'Art, aussi grand soit-il, ne justifiera jamais la douleur d'individus qui n'ont jamais demandé à en être le matériau.


Ce film me dégoûte.

Dex-et-le-cinma
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le 4 mars 2020

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