Triste affaire. De se dire, pour commencer, que Cartel est probablement plus intéressant (stimulant) en l'état que s'il avait été plus réussi. Oui, car en eût-il été ainsi, nous aurions vu un bon thriller sur la drogue, sans plus. Avec des acteurs connus, diversement bons, une tonne de choix curieux et de mauvais goût, et une mise en scène léchée mais sans âme.

Seulement, c'est ce que nous aurions vu. Et malheureusement, la faute à ce scénario si décrié sans doute, mais pas que, Cartel est bien moins que cela. Moins que médiocre, donc mauvais. Je vais être honnête sur ce point : la première moitié du film m'intriguait, ne m'ennuyait peu ou pas. Je me demandais pourquoi il prenait la peine de tout installer avec tant de minutie et de zones d'ombres, pourquoi ce rythme si lent. Je trouvais des excuses au film, pensant que la première heure était un vaste trompe l'oeil que la suite ne tarderait pas à brillamment déconstruire. Mais voilà, aux deux tiers du film, alors que l'ennui et l'agacement copulaient copieusement dans mon esprit pour donner naissance à la colère, une image me vint. En fait, ce film, c'est comme un artiste de cirque, un équilibriste, qui veut faire le numéro le plus impressionnant et improbable qui soit. Alors l'intérêt du public au début est très fort : on le voit ajouter des obstacles, enlever des sécurités, se la péter un peu, chercher à faire compliqué. C'est une longue préparation, mais l'intérêt reste présent, car il y a derrière une promesse. Une promesse folle dont le revers une part de cruauté inhérente à la nature du spectacle proposé. Au fond, on sait très bien que ça ne marchera pas, donc une part de nous espère que tout ira bien (on veut être bluffé) et l'autre se frotte les mains d'avance de pouvoir vilipender lorsque le mal sera fait. Et bien sûr, dès que l'équilibriste se lance et fait un pas sur son fil, ilse vautre comme une grosse merde.

Cartel donc, ou plutôt "The Counselor", titre qui certes lui sied mieux, ou l'art et la manière de promettre, de se compliquer la vie, et de se vautrer royalement. Ce qui ne va pas, pour le dire plus en détail, c'est qu'on ne sait jamais exactement ce que font ou ont fait les deux personnages principaux de l'histoire (le conseiller Fassbender et le ?!?! - quoi d'ailleurs ? - Javier Bardem). L'un est avocat de l'autre qui est juste riche et a visiblement très mauvais goût. Les deux ne cessent de pérorer en grande pompe pseudo philosophique sur leurs actions illégales liées à la drogue et au cartel. Soit. Sauf qu'au cinéma, il ne suffit pas de faire dire quelque chose à quelqu'un pour que cela soit vrai, crédible, vivant. Défaut cruel de ce film construit sur du vent, sur des hypothèses qui jamais ne sont réalisées. En découle le profond manque d'attachement et d'intérêt pour le sort du pauvre Fassbender qui se retrouve dans une spirale infernale dont on se fout complètement parce qu'elle n'a aucune raison d'être. Cela se voudrait absurde, voire profond, mais c'est juste vite et plat. Et puis il faut se farcir les scènes avec Cruz, ridicule avec son accent préfabriqué. Porno chico-grotesque en prologue (cuni très humide apparemment), scènes au mieux inutiles, au pire incohérentes (le fameux fils motard, supposé en taule, que l'on faire de la moto et nourrir son chien), dialogues boursouflés et opaques où la prétendue sophistication ne cache qu'un vide sidérant de sens et de profondeur. Ils en deviennent compliqués non pas parce que ce qu'ils disent est difficile à comprendre, mais parce qu'il n'y a rien à comprendre. Nous avons une bande de personnages dont on ne sait au final même pas qui ils sont (seul Fassbender a une fonction vraiment attribuée, mais aucune caractérisation) qui parlent de choses que l'on ne nous montre pas en restant très vagues et métaphoriques, quand ils ne parlent pas tout simplement d'autre chose. Le comble étant Brad Pitt qui ne sert absolument à rien sauf à crever comme une pauvre tâche le moment venu. Je passe rapidement sur la dernière partie du film, celle qui est supposée être le déchaînement de violence absurde (mais profonde) avec réflexion morale, paroxysme mélancolique et amour détruit. Un gunfight est cool, une des exécutions étonnantes, le reste est prévisible (le film est entièrement construit de manière auto-prophétique : si on parle d'un truc, c'est que cela arrivera) et vulgaire (la mort de Cruz, à la fois hypocrite et assez dégueulasse dans le système du film).

Je descends ce film, vous dites-vous. Mais j'insiste, avant qu'il ne se casse la gueule, il a un certain pouvoir de fascination. Plutôt bien fichu, même si très classique dans le genre, donc banal. Rétrospectivement la première partie en prend un coup puisque la promesse n'étant pas accomplie, elle devient obsolète. Mais tout de même, il y avait moyen de faire un bon film. Dans tout ce décorum de mauvais goût (les guépards, les tatouages, le personnage entier de Cameron Diaz), on décèle ce que rêvait d'être ce film. Ce que cette histoire avait (a ?) d'inéteressant, son potentiel subversif. Ce potentiel, c'est la tension entre le personnage de Diaz et celui de Fassbender. Le carré central fonctionne en chiasme : chaque couple a un élément fort et un élément superflu. Bardem est superflu. Son look est grotesque, son jeu exubérant mais pour une fois pas convaincant, et son personnage ne sert à rien (il paraît si bête, inutile, impuissant et nul qu'on se demande comment son business a pu tenir aussi longtemps). Cruz est fade, cruche, quasiment absente du film et n'existe que pour créer des souffrances existentielles à son compagnon en se faisant enlever et torturer gratuitement (bonjour, ressort dramatique sordide, douteux et même vaguement miso ?). En revanche, Fassbender est un homme d'action, il voyage, il achète, il a des discussions "matérielles" et connectées, il voit du monde (tous les autres personnages du film en fait), et bon, il déguste pas mal il faut le dire. Cameron Diaz est vulgaire, son personnage faussement cruche, dominateur, qui se veut sexy (perso moi ça me repousse), animale. Il fallait user de cette tension entre pôles forts et faibles qui pouvaient s'attirer, s'entrechoquer, se dévorer. Car il y a de l'animalité sourde dans le film, dans les sourires carnassiers de Fassbender, plus subtils que le jeu grossièrement félin de Cameron Diaz (la scène du pare brise, franchement ?). Mine de rien, un film de ce genre où la femme domine son monde et le manipule avec brio, ce n'est pas si courant. Quelques éléments sont réussis, le dialogue sur les diamants avec Cruz où le personnage montre une connaissance étonnante du sujet : on croit que c'est une pétasse superficielle, on corrige en se disant que sa vénalité explique son érudition, et la fin du film corrige pour de bon ce jugement. Mais il aurait fallu laisser son compter manipulateur dans l'ombre plus longtemps, orchestrer un bon twist, pousser l'ambivalence à son terme. Le seul atout du film est donc gâché parce que dégainé trop vite.

Je pourrais probablement continuer pendant longtemps (je vous avais bien dit que ce film était finalement plus intéressant en l'état) mais je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle. Le film est donc à voir à la rigueur, pour se gausser de choix vraiment idiots dans le semblant de caractérisation de ses personnages, pour ses qualités techniques somme toute modestes et pour sa distribution internationale (Dormer, Ganz, et donc Cruz en seconds rôles) inégale. Et puis qui sait ? Pour certains d'entre vous, peut-être que sur un malentendu, ça pourra passer. Pendant une heure j'ai bien cru que ce serait mon cas.

PS : oui, toi, au fond là-bas, tu peux le dire maintenant, il y a bien une allusion gratuitement scato dans le titre de cette critique.

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le 21 nov. 2013

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Krokodebil

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