Mutations de la société brésilienne

L'histoire d'un adolescent brésilien né dans les beaux quartiers (leur définition diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre), loin des favelas mais pas nécessairement éloigné des problèmes sociaux et des aléas familiaux. Pour connaître un peu le Brésil, la description de cette famille bourgeoise dans un pays aux inégalités criantes me paraît assez fidèle, représentative d'un des maux qui ronge la société. Dans les familles aisées, il est très courant d'avoir dans la maison toute une nuée de domestiques pour le ménage, la cuisine, et même le suivi des enfants pour les devoirs ou pour les amener à l'école. Fellipe Barbosa fait probablement partie de cette classe-là et sa démarche est noble : il n'entend pas parler à la place d'autres (les classes défavorisées, en l'occurrence) pour délivrer son message, mais simplement montrer les rugosités à l'interface entre les classes, depuis son point de vue d'une situation privilégiée.


On peut regretter le ton sentencieux de certains dialogues, à plusieurs reprises, qui résonnent trop comme les paroles du réalisateur lui-même, faisant dire ce qu'il pense à ses personnages comme autant de tracts récités. Des commentaires sur l'état de son pays, sur les problèmes courants, etc. qui auraient pu être mieux intégrés dans le cadre du récit, de manière un peu moins démonstrative. C'est très dommageable en termes d'immersion et d'adhésion. Mais pour autant, cela n'entache pas totalement le récit d'apprentissage centré sur l'ado de 17 ans, qui découvre en même temps que l'amour les antagonismes de classe. Il a beau être né dans une famille fortunée, il a su développer une conscience singulière de l'exploitation de ses parents envers le chauffeur métis, qu'ils licencient à la va-vite lorsque leurs finances s'effondrent, et envers leur bonne noire, qu'ils n'auront jamais pris le soin de régulariser. Le racisme latent n'est jamais bien loin, et c'est en toile de fond qu'apparaissent les transformations politiques à l'œuvre dans le pays : le film évoque de manière très explicite la loi de 2012 instaurant des quotas dans certaines universités afin d'enrayer l'emprisonnement social des classes les plus défavorisées. Améliorer l'accès à l'éducation pour favoriser l'égalité tant revendiquée, même si cela déclenche une incompréhension et des contradictions se manifestant jusque dans les débats dans les salles de classe.


Malgré la lourdeur démonstrative de certains échanges, "Casa Grande" parvient à dessiner quelques très beaux portraits d'adolescents (les adultes sont relativement succincts, stéréotypés, mais peu importants). Il y a une justesse de ton très appréciable dans la description du quotidien de Jean, de son état d'esprit, de ses doutes, de sa petite amie.


Les soubresauts de la politique brésilienne ont autant d'importance que la sécurité radicalement précaire dans certaines rues, contraignant ceux qui le peuvent à toujours se déplacer avec un billet facilement accessible en cas de menace. Une attitude courante au Brésil. Il prend peu à peu conscience de ce qui l'entoure, comme un éveil au monde, aidé par sa petite amie (l'affiche est quand même un peu trompeuse quant au contenu du film) qui ébranle ses certitudes. Quelque part, c'est un bien pour un mal car la faillite de son père aura causé ce sursaut intellectuel, en l'obligeant entre autres à prendre le bus plutôt que la voiture avec chauffeur et ainsi côtoyer un univers différent. C'est ce déséquilibre qui lui donnera les armes pour sortir du cocon familial étouffant et s'épanouir dans le monde réel.

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le 14 sept. 2017

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Morrinson

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