C'est le genre de petites perles que l'on découvre par hasard, pour d'autres raisons, et qu'on finit par aimer pour elles-mêmes comme un grand film. Je ne connaissais pas Comencini, et j'étais au départ beaucoup plus intéressé par le personnage de Casanova que par ce film en particulier. Et finalement, voilà que je découvre une fresque passionnante sur la vie à Venise au XVIIIème siècle, une finesse remarquable dans la peinture des sentiments, et une photographie d'une très grande beauté classique, le tout relié par un montage vif, parfois même saccadé, qui donne à l'ensemble un aspect tendre et léger. On a l'impression que Comencini a parfaitement intégré un regard social propre au néo-réalisme, mais qu'il lui insuffle toute la vitalité des années 60, ce qui donne au film à la fois une grande véracité dans son traitement de la pauvreté, des rapports de pouvoir ou des mœurs de l'époque, mais qui lui préserve en même temps une profonde douceur dans son traitement qui nous achemine progressivement vers l'idée que les plaisirs des sens pourraient être un possible moyen d'émancipation. Ce film n'est pas un film sur Casanova, c'est un film sur une époque, sur l'hypocrisie des rapports sociaux, sur la vanité que procurent les titres et les privilèges, sur la bêtise des puissants, sur la cruauté aussi avec laquelle certains sont prêts à manipuler les autres par ambition. Et en même temps, c'est aussi un film où aucun personnage n'est jamais vraiment jugé, où l'on comprend leurs vices sans jamais les condamner, les incluant à chaque fois dans les circonstances qui les déterminent, parvenant ainsi à faire en sorte que quasiment chaque personnage soit regardé avec considération, et ne nous soit pas binairement antipathique (à l'exception peut-être du prêtre joué par Lionel Stander). Et c'est par là aussi que le film va pouvoir nous amener, comme par nécessité, vers l'idée que le libertinage est le seul moyen pour un jeune homme pauvre d'échapper à une vie d'obéissance. On est très loin du Casanova de Fellini, film beau mais plein de mépris pour son personnage, observant un Casanova déjà figé dans l'image que l'on s'en fait. Ici, Casanova n'est pas particulièrement porté sur la chair, il ne fait que chercher à survivre, à s'instruire, à vivre l'amour, et en vient à chaque fois à choisir le libertinage par désir d'émancipation, comme pour échapper au déterminisme qui l'emprisonne, sans le moindre excès. Si ce Casanova là peut être dit "libertin", ce n'est qu'en comparaison de mœurs très rigides d'une époque dominée par le dictât de l'Eglise; qui d'ailleurs, comme nous le montre bien le film, cachait souvent des désirs inavoués débridés que l'on assouvissait à l'abris des regards. Certes, l'histoire de ce jeune abbé qui se détourne de sa vocation est aussi l'histoire d'une tentation pour un monde de luxe et d'apparat auquel la misère lui a empêché de goûter. Mais c'est là autant un apprentissage des sens, de la sexualité, qu'une éducation sentimentale, alors que de l'insouciance de l'enfance, de la naïveté des premiers regards, Casanova finit par comprendre que l'amour tel qu'on le conçoit le plus souvent l'enferme. Petit à petit, il s'affirme comme un jeune homme qui plaît et désire plaire aux autres, mais Comencini nous montre que Casanova agit ainsi d'abord par désir de laisser libre cours à sa nature, et d'échapper par là à la condition qui l'a vu naître. Et comme dans un dernier déterminisme, il suivra en fait là l'exemple d'une mère qu'il avait pourtant si peu connu, et qui avait su déjà transgresser toutes les barrières sociales par ses charmes pour vivre pleinement sa vie. D'ailleurs déjà, dès le début du film, quand cette mère s'en allait rejoindre ses amants, et malgré le fait qu'elle se montrait sous certains côtés grotesque et ridicule (tant elle mettait de zèle à séduire), Comencini nous la peignait comme pleine de vie, rieuse, joueuse, en comparaison de la morosité d'un père impuissant et souffreteux. Le film se termine ainsi en bouclant la boucle, nous ouvrant sur le personnage de Casanova que l'on connaît, mais ayant entre temps pu dresser la fresque de toute une époque et de la complexité des sentiments qui s'y éveillent. Au fond chez Comenicini, c'est avant tout par amour de la vie que l'on échappe à sa condition. Reste à dire la beauté des détails, des objets d'époque, d'un œuf cassé sur le rebord d'une poêle, de la recette d'une potion de sorcière, de lits couverts de puces, de vêtements que l'on met et défait en devant enlever chaque bouton, de petits bouts de papier que l'on découvre dans le pot de la quête et que l'on reconstitue pour y lire un message amoureux, autant de petits éléments qui nous éveillent à nous aussi les sens.

LabyrinthMan
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le 13 juin 2018

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