La seule et unique fois où j'ai vu Casino je devais avoir 15 ou 16 ans, pas la meilleure époque pour juger de la valeur d'un film, ni pour voir quelque chose de cette ampleur. À travers cet opéra sanguinolent, portrait d'une organisation criminelle si cher à Scorcese, le réalisateur dresse une fresque impressionnante des dessous du monde des affaires. Pourtant malgré la complexité de la tâche et l'ampleur de la réussite, je ne vois en cette œuvre, ni son plus grand aboutissement, ni encore son dernier prodige, contrairement à ce que je peux souvent lire ou entendre sur le sujet.
Fort de sa narration qui porte l’œuvre à bout de bras, « Casino » s'installe vite comme une puissante démonstration de force faisant la part belle à sa maîtrise du sujet tout en tenant à distance les dialogues finalement secondaires. Chaque détail de la vie d'un casino nous est narré, de la plus petite des magouilles jusqu’au système pyramidale permettant à chacun de faire son beurre et participant ainsi à l'économie souterraine de l'entreprise. Plus fort encore, il devient vite évident que chacun, du voiturier au sénateur, a tout intérêt à ce que la chose prospère afin de continuer à en tirer ses propres avantages. Mêlant ingénieusement blanchiment d'argent, politique, mafia et hommes puissants de tout bords, il devient ardu de définir qui décide de quoi et à quel bout se situe le grand patron. Il s'agit avant tout d'une épopée narrant la mise en commun d'importantes ressources afin d'en engranger toujours plus en laissant même le plus petit y trouver son compte tant que l'argent continue de couler à flot.
Beaucoup voit en ce film un tournant majeur du cinéma de Scorcese notamment parce que c'est son dernier film avec son casting mythique, et s'il est vrai qu'on peut regretter cette époque, « Casino » m'est apparu malgré tout par moment comme redondant avec des acteurs qui changent finalement peu de rôle, notamment depuis « Les Afranchis ». D'ailleurs on note beaucoup de similitudes entre ce dernier et celui ci, tout deux sont sublimés par une même déferlante d'énergie, transcendés par une force venue d'ailleurs, je reste pourtant sur ma faim avec « Casino » justement parce que j'ai trop souvent l'impression de revoir son aîné sorti cinq ans plus tôt à qui on aurait vaguement accordé quelques modifications.
À propos de force on ne soulignera jamais assez le sens du rythme de Martin Scorcese qui nous propose des films à rallonge dans lesquels on ne s'ennuie jamais. Malgré quelques baisses de tension, les trois heures du film passent d'une traite et c'est presque étonné qu'on voit déjà arriver le générique de fin.
Scorcese signe là l'un des meilleurs moments de cinéma des années 90 et peut être de sa carrière bien cela soit dur à définir tant il a signé de films somptueux avant et après. Toutefois je réfute fermement la possibilité qu'il y aurait quelque chose qui aurait disparu chez lui après ce film si ce n'est un casting qu'il a traîné sur plusieurs décennies au sein d'improbables et majestueuses productions.