Le dernier Cédric Klapisch était attendu : après la fin de son triptyque cosmopolite urbain sur un Casse-tête chinois un peu décevant, le réalisateur confirmé se fait plus sage, et troque les métropoles romantiques contre les vignes familiales. Un long métrage pensé comme une madeleine de Proust, l’alcool en plus dans la recette. Ce qui nous lie est avant tout le terreau de tentatives nouvelles. L’intrigue se resserre tantôt sur l’humain et la famille endeuillée que forment Ana Girardot, François Civil et Pio Marmaï, tantôt sur la nature et la tradition française qu’évoquent la Bourgogne, ses vignes et ses saisons fugaces. Klapisch ne parvient pas réellement à allier ces deux morceaux, car il s’agit avant tout ici de l’histoire d’un frère, Jean, parti dix ans sans donner de nouvelles – la vigne n’est qu’anecdotique dans ce nœud dramatique. Là où Saint-Amour de Kervern et Delépine avait pris le vin comme unique tentative de lien entre père et fils, on sent chez Klapisch une hésitation. Une certaine maladresse dans l’union des êtres par la nature – malgré la documentation évidente qui a été faite. Les personnages sont vite brossés, le spectateur n’a pas grand-chose à faire de ce côté-là ; le domaine en danger, pour sa part, se fait plus décor qu’élément central de l’intrigue. Certaines scènes transpirent le réalisme et touchent sans artifice, d’autres semblent factices, plus ennuyeuses.


Avec un défaut évident de rythme et une écriture parfois inégale, le métrage – scénarisé pour la cinquième fois avec Santiago Amigorena – reste tout de même prenant. Car il semblerait que, comme le bon vin, Ce qui nous lie prenne de l’ampleur avec le temps. Ce n’est ni pour la France viticole – qui nous intéresse pourtant –, ni pour la réaction des personnages vis-à-vis de la perte du père, mais c’est essentiellement grâce à une osmose de jeu. Trio rayonnant à l’écran. Pio Marmaï d’abord, juste et tout en nuances dans le rôle du frère hésitant. Ana Girardot ensuite, qui commence à se libérer et à gagner en grave, et enfin François Civil, excellent dans la série Dix pour Cent sur France 2, qui nous fait sentir qu’il mérite un vrai premier rôle à la hauteur de son éventail de jeu. La force de cette fratrie repose sur leurs corps, leur être à l’écran, mis en lumière par le style renouvelé de Cédric Klapisch – le défilement du temps en fondus enchaînés porte l’union des personnages et les met vraiment en résonance avec les saisons bourguignonnes. On se serait volontiers passé de la voix-off, saupoudrée grossièrement un peu partout – overdose et répartition hasardeuse. Celle-ci alourdit, et comme beaucoup de scènes et morceaux de la bande originale, tire vers la facilité et force la larme, qui n’avait pas besoin de ça pour couler le long de la joue. A force d’hésiter entre naturalisme frappant et codes convenus, Klapisch n’a pas tout à fait trouvé la formule magique. Petit manque d’alchimie.


Ce qui nous lie reste sur plusieurs plans bien prometteur, mais signe tout de même le retour mi figue-mi raisin d’un Klapisch et un Amigorena qu’on a connus plus en forme. Une prise de risques pas tout à fait convaincante (question de dosage) qui a cependant le mérite d’entamer un renouveau tant esthétique que scénaristique dans le cinéma du réalisateur, ne serait-ce que par le casting (au revoir Duris et la bande habituelle), des comédiens rafraîchissants face à l’été qui approche. Ce qui nous lie n’est pas un grand cru – le prochain fera meilleure vendange, on l’espère –, mais un bon vin de table à partager en bonne compagnie. Et celui-ci, comme dirait François Civil, on ne le recrache pas, on l’avale !


Critique disponible sur le nouveau magazine cinéma dédié au cinéma français et francophone FrenchMania : www.frenchmania.fr

Julien_Gallett
7
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le 18 juin 2017

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Julien Gallett

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