Plus qu'un geste politique ou artistique qu'il est aussi, le film ou non-film de Panahi est avant tout un geste humain. Celui exécuté par un homme qui ne veut pas mourir ni laisser mourir ce pour quoi il est fait, ce pour quoi il vit.
Le geste est parfois désincarné, mélancolique, « on s'ennui alors on filme », parfois plus fort, comme acte politique, acte de résistance « laissons les caméras allumées, laissons les filmer », mais le geste répond toujours à un besoin vital de faire. Filmer pour se prouver que l'on est encore là, vivant, filmer pour prouver aux autres que l'on est encore là.
Au détour d'un plan, on peut apercevoir le DVD du film Buried sur une étagère. Ce n'est sans doute pas un hasard. Buried, huis-clos dans lequel un homme est enfermé dans un cercueil, désire en sortir et n'a comme contact avec l'extérieur qu'un téléphone portable. Il y a beaucoup de ça dans le film de Panahi. Et ce geste de vouloir sortir du cercueil, ou bien encore celui d'ôter un plâtre fictif, est un geste fort, qu'il tente de faire avec ce film.
Sortir du cercueil, de cette situation dans laquelle il se meurt peu à peu, le cinéaste donne la sensation que cette libération sera effective à la fin du film. Il quitte son appartement est va dans la rue. Sauf que toute cette incroyable séquence n'est jamais filmée comme telle et prend une dimension mythologique. Panahi en 2,3 plans devient Dante, celui qui descend aux enfers. Accompagné de son guide, le ramasseur de poubelles, il franchit les différents cercles/étages, dans un ascenseur de plus en plus envahi par la puanteur des poubelles avant d'arriver au cercle final, dans lequel les flammes envahissent le cadre. Mais ce final apocalyptique très noir est contrebalancé par une idée de jeu et d'illusion, qui est là dans tout le film et qui contraste avec les évènements. Jeu qui consiste à faire d'un tapis un décor, un monde dans lequel on aimerait pouvoir raconter une histoire. Panahi convoque l'imagination du spectateur. C'est d'autant plus vrai avec son travail sur le son. Durant une bonne partie du film on entend à l'extérieur des explosions, des sirènes de police, on pense que c'est la guerre et que le cinéaste est à l'abri dans son refuge. Mais il s'agit en fait de la fête du feu, tout le monde est dans la rue et on lance des feux d'artifice. Les seuls contacts qu'entretien encore Panahi avec le monde extérieur sont des fenêtres ouvertes, un balcon, des devants de portes, un téléphone, une télévision, et un internet censuré. Ce sont le peu de choses qu'on lui donne encore à voir.
La captation du monde, d'un pays, n'est plus vraiment possible. Alors il ne lui reste plus qu'à capter le monde qui c'est resserré autour de lui, son appartement. Univers restreint mais suffisant pour raconter des choses, sur lui, sur son pays, et pour continuer ce qui l'anime.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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