Conte naïf sur l'utilité du vol de chevaux

Sous bien des aspects, Centaure pourrait apparaître comme un drame sociétal exotique comme tant d'autres, dont le but premier vise à décrire une situation d'aliénation dans un pays donné, selon les codes locaux et les normes en vigueur. Après tout, il est question de décrire une certaine communauté kirghize au sein de laquelle surviendra un événement bousculant le calme relatif du quotidien, et surtout éclairant la nature de certains antagonismes latents. Mais on n'a pas accès tous les jours au cinéma en provenance du Kirghizistan, ce qui fournit une motivation supplémentaire à se plonger dans le microcosme qui y est décrit.


On saisit cependant assez vite la nature des enjeux travaillés par Aktan Arym Kubat : derrière cette histoire de vols de chevaux, il y a en réalité la peinture d'une mutation nationale profonde, avec d'un côté ceux qui entendent bien profiter de la modernisation pour s'accaparer les richesses et de l'autre ceux qui voudraient voir perdurer les traditions d'un peuple à l'origine nomade. Heureusement, pour dépeindre ce conflit, Centaure n'adopte pas le ton du semi-documentaire sordide ou misérabiliste : c'est sous l'angle de la fable que l'essentiel sera traité. En ce sens, la possibilité nous est laissée d'accepter le dénouement non pas comme un geste un peu lourd mais comme l'apogée du conte.


Mais cette disposition ne suffirait pas à éviter un certain manichéisme, avec l'avidité des modernes et le respect des traditionnels. C'est à travers le portrait du personnage que le réalisateur interprète qu'il parvient à instiller une légèreté bienvenue, avec ce projectionniste qui travaillait dans un cinéma transformé en mosquée (à l'origine d'un arc un peu lourd sur la dimension très passéiste de la pratique religieuse). Avec son enfant de 5 ans qui ne parle pas à qui il raconte les légendes locales (à base d'hommes et de chevaux, voire de centaures, donc) et sa femme sourde-muette qu'il trompe à moitié avec une vendeuse de maksym (boisson kirghize), il forme un foyer très hétéroclite. Le cheval, au centre, semble être passé du statut d'animal totem à celui de pur produit mercantile qu'il entend bien libérer. Les dialogues entre poésie et tragédie ne sont pas toujours très fluides, le glissement de la société anciennement soviétique vers un modèle capitaliste n'est pas toujours très subtil dans l'exposition des extrémismes divers, mais il se dégage néanmoins de ce conte philosophique une douceur et une naïveté attachantes, illustrant par contraste la méchanceté d'une partie de son environnement.


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Morrinson
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le 27 févr. 2020

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