On serait tenté de n’y voir qu’un film à sketchs, avec tous les défauts que le genre génère, pourtant Certaines femmes, qui fait le portrait de trois femmes sans les relier par la traditionnelle et usée fonction chorale, est tout sauf un film à sketchs, justement, puisque ces trois histoires, ces trois portraits forment l’histoire et le portrait du Montana, région dans laquelle s’ancrait le récit de « Both Ways Is the Only Way I Want It: Stories », de Maile Meloy, ce recueil de trois nouvelles que Kelly Reichardt choisit d’adapter.


 Qu’importe le « chapitre » la mise en scène est la même, les raccords visages/paysages aussi, de même que l’étonnante circulation des corps : leur déterminisme, leur posture, la façon de réinventer leur personnage. Entre le premier segment et le deuxième, un personnage revient, masculin campé par le trop rare James Le Gros. Et c’est Laura (Laura Dern, qu’on aimerait tellement voir davantage) qui fait le lien entre son premier et le troisième. C’est tout, inutile de davantage les entrelacer.
C’est là uniquement pour créer un flux circulaire, un peu abstrait, aucunement pour apporter un rebondissement insensé, d’autant que si chaque petite histoire se déroule sur un sol identique, elles ne s’articulent pas du tout sur la même temporalité : Quelques heures pour les deux premières, quelques semaines pour la troisième. On sait comment fonctionne Kelly Reichardt et c’est justement parce qu’elle ose ce dernier plan incroyable (Le film s’ouvre et se ferme comme des plans de deux films de James Benning : RR et Two Cabins, un train de marchandise et une fenêtre carré) et ne tombe pas dans une retrouvaille un peu artificielle (Mais on en rêve, évidemment, si on aime les romances au cinéma) qu’on l’aime autant, depuis maintenant cinq films, tous merveilleux.
On dit trois portraits mais on peut tout autant dire quatre, puisque le personnage joué par Kristen Stewart n’existe pas pour servir celui joué par Lily Gladstone, au contraire, c’est dans leur fusion égale et maladroite que va éclore des suspensions incroyables à l’image de la balade nocturne à cheval. Quatre femmes et deux hommes, certes plus distants, mais qui viennent parfaire ce curieux portrait d’une Amérique aux édifications tenaces et aux ramifications complexes : La souffrance d’être femme dans les métiers du droit, d’être épouse et mère comblée, de tomber amoureuse.
Aux déplacements forcés qui résidaient dans ses précédents films (une balade en forêt, un road-movie interrompu, une traversée du désert, la construction et les conséquences d’un attentat) Certain women choisit le quotidien, qui n’est certes pas immobile puisque guetté par la surprise, mais dont le mouvement est plus délicat à apprivoiser, plus complexe à identifier. Trois solitudes, pourtant très différentes, qui se répondent sur d’infimes petites choses et qui constituent le terreau féminin de cette ancienne terre de western, puis se collisionnent en une triple scène quasi similaire : Un abandon profond et trois regards bouleversants. Une indifférence qu’il faut encaisser, que la mise en scène va souligner d’une distance plus ou moins importante entre deux corps toujours séparés par une vitre.
Mon seul regret c’est la durée : Si j’aime autant le cinéma de Kelly Reichardt c’est parce que ses films prennent chaque fois le temps de s’installer, de capitaliser sur leur lenteur, de créer du vertige avec peu de choses. J’aurais tellement aimé qu’on en voit plus de Laura, de Gina, de Jamie. Toutefois, il manque un petit quelque chose au deuxième segment pour atteindre la beauté des deux autres, ce bien que cette affaire de grès et cailles soit absolument géniale. Toujours est-il, mais on le savait déjà, que dans la beauté de ses images, la puissante incarnation de ses acteurs, la discrétion de ses mouvements, ses élégantes trajectoires, le cinéma de Kelly Reichardt est le plus beau du monde. Vivement le prochain.
JanosValuska
8
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le 13 juin 2017

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