César et Rosalie par Freddy Klein

Il en est des amours enfantines comme de ceux qui nous cueillent plus tard dans la vie. Et il n'y a pas d'âge pour cela. Ils ne sont pas prémédités, ils nous prennent en plein vol, parfois quand nous nous nous y attendons le moins. L'amour est enfant de bohème, chantait Carmen, il n'obéirait à aucune loi et pourtant il a ses raisons, ses signes, ses mots, ses codes, sa grammaire et connaît des lois, celles du genre. Nous sommes entre connaisseurs, inutile donc d'entrer dans les détails et de nous étendre sur le sujet.

Nous sommes en été, je suis dans ma voiture, j'écoute France Info. Estelle Faure est aux commandes de sa chronique France info junior. Romane, 7 ans, interroge Nadège Larcher, psychologue. Ses questions sont simples et précises : « Pourquoi il y en a qui à l'école sont amoureux ? », « Pourquoi, il y en a qui sont séparés, ils ne s'aiment plus ? ». Les réponses à ses questions sont tout aussi précises et audibles pour Romane.

De mon côté, j'avais envie de dire à Romane de regarder César et Rosalie pour compléter les mots de Nadège Larcher. Enfin, un peu plus tard. Je veux la rassurer également, l'aider à prendre son jeune âge en patience. Même dans des années, les dialogues de Jean Loup Dabadie, la caméra de Claude Sautet, le regard de Romy Schneider, le charme de Samy Frey et les cabotinages d'Yves Montand n'auront pas vieilli.

César aime Rosalie qui l'aime en retour. Yves Montand est César et Romy Schneider prête son regard, sa sensualité et sa voix, unique et reconnaissable entre toutes, à Rosalie. Le couple vit dans l'aisance de la réussite en affaires de César. César est ce qu'on appelle parfois un nouveau riche qui s'est fait à la force du poignet dans le commerce des métaux. Un ferrailleur, mais un gros comme le dit Antoine, c'est à dire un industriel du commerce des métaux de récupération dont les transactions se font dans des sommes avec beaucoup de zéros. Rien à voir avec le ferrailleur de nos villages qui deux fois par an collectait les objets destinés au rebut et les peaux de lapin pour faire du feutre à chapeau.

Umberto Orsini est Antoine, il est un artiste-peintre, premier amour de Rosalie. David, dessinateur et créateur de bandes dessinées, est interprété par Samy Frey. Il est un des grands amours de Rosalie qui la prenait sans l'emporter. César aime Rosalie, il offre à Rosalie la sécurité matérielle et une forme d'apaisement. Rosalie l'aime en retour pour l'apaisement qu'il lui offre même s'il ne maîtrise ni totalement les codes de l'amour, ni ceux d'une vie sociale harmonieuse. César pense que tout peut s'acheter. Il n'entend pas les autres car il est accaparé par lui-même et son ascension sociale qui semble par instant l'étonner lui-même, au point de la rappeler de la manière la plus triviale et la plus vulgaire.

Dès les premiers instants du film les contradictions du couple affleurent. Par les regards d'abord. Celui de Rosalie est fait de bienveillance, celui de César reflète une inquiétude latente qui va se révéler et s'accentuer quand David réapparaît dans la vie de Rosalie. Ce qu'expriment les corps, ce qui s'inscrit dans les regards et ce que les mots disent est en parfaite synchronisation de bout en bout d'une longue histoire d'amours. Romy Schneider est simplement très belle, Samy Frey plus distant et plus présent que jamais et Yves Montand campe un homme maladroit et si peu sûr de lui qu'il en devient émouvant. Claude Sautet et Jean Loup Dabadie jouent à quatre mains une partition inoubliable.

Rosalie/Romy Schneider aime ses deux hommes avec pudeur et chacun à sa manière l'aime en retour. Elle quittera les deux mais reviendra plus belle encore pour les retrouver. César et Rosalie est sorti sur les écrans en 1972, Il y a un demi-siècle. Il n'a pas pris une ride. Romy Schneider, Yves Montand, Samy Frey, Claude Sautet et Jean Loup Dabadie ou les atermoiements de l'amour. Ils m'ont rappelé pour quelles raisons j'aime le cinéma. Et ce n'est pas un vulgaire virus qui me dissuadera de fréquenter les lieux où le 7ème art est à la fête.