Je vais être franc avec vous. J'étais circonspect avant que la séance ne commence. Parce que ce genre de films, en France, ça donne souvent lieu à des reconstitutions historiques plates et amidonnées, qui s'étirent plus que de raison et finalement, ennuient et tournent en rond.


Et puis, Guillaume Gallienne, vous savez ce que j'en pense, surtout depuis mon avis sur Les Garçons et Guillaume... A Table ! Pas besoin d'en dire plus...


Mais surprise, car Cézanne et Moi ne reprend pas dans son déroulement ce genre de tares congénitales et de handicaps rédhibitoires. Il fonctionne plutôt bien, même. Et miracle, l'ami Gallienne a su éviter de convoquer le désamour que j'ai habituellement pour lui. Même si, à une ou deux reprises, son Cézanne lui échappe par instant dans ses emportements, au point de penser en souriant que ses colères sont plus des scènes de jalousie d'une folle tordue. Mais c'est tout à fait mineur. Car Cézanne et Moi est réussi, intéresse et pose un regard sur une amitié orageuse et chaotique entre Emile Zola et le peintre, ce que, personnellement, j'ignorais.


Cette amitié, pourtant véritable, franche et complice, c'est je t'aime, moi non plus, alors même que ces deux là sont là l'un pour l'autre et que Zola est dépeint comme l'exact contraire de son comparse. Leurs origines sont différentes mais l'enfance et ses jeux les rapprochent. les mêmes filles passent dans leurs bras, le talent les brûle. Mais leur parcours sont divergents. Autant Zola se fait un nom de sa plume, autant le pinceau de Cézanne sera longtemps ignoré et dédaigné. Au point que Paul reproche à Emile ce qu'il considère comme des compromissions pour se fondre parmi les bourgeois qu'il avait pourtant en horreur.


Mais le film ne s'appelle pas Cézanne et Moi pour rien. En effet, si Zola fonde la moitié de cette amitié et la tempère, c'est le peintre dont, finalement, Danièle Thompson brosse le portrait. Sanguin, exclusif, jaloux, égoïste, sans compromis, l'artiste fascine autant qu'il énerve. Si son talent irrigue sa peinture, le fait qu'il ne soit pas reconnu par ses pairs le touche et révèle des failles narcissiques intéressantes, même s'il conserve ses allures revêches et abruptes.


Dans cette confrontation que le peintre ne cesse de provoquer, Zola continue pourtant de le soutenir, malgré les colères, malgré les reproches, les emprunts de morceaux de vie qui mettent Cézanne hors de lui. A ce titre, Cézanne et Moi, s'il dresse le portrait d'une amitié, il imbrique celle-ci dans une réflexion sur l'acte créatif, quel qu'en soit le support. Ainsi, l'art n'est pas seulement une inspiration fugitive, mais, par le prisme de Zola, une peur, une souffrance, l'envie de reprendre sans cesse ses écrits, de constamment tout mettre au panier pour recommencer. Comme Cézanne, que l'on verra quasi systématiquement en train de détruire ses oeuvres. Danièle Thompson réfléchit aussi sur cette thématique en l'inscrivant dans l'époque : celle ou s'ancre un Zola qui défend la condition ouvrière et les petites gens, celle, encore conservatrice, qui recalera les tableaux de Cézanne dans une appréciation dédaigneuse et condescendante.


Construit habilement dans une conversation pleine d'amertume entre les deux artistes autour de flashbacks entre l'enfance, la vie parisienne et les superbes images et décors ferreux de la Provence où ils se sont chacun épanouis, Cézanne et Moi constitue donc une jolie surprise, tant le projet pouvait paraître au premier abord plat et plan-plan. D'autant plus qu'il est traversé par un joli trio d'actrices : le ravissant sourire d'Alice Pol, le visage gourmand de Déborah François et l'exquise Freya Mavor, la magnifique Dame dans l'Auto avec des Lunettes et un Fusil.


Rien que pour ça, Cézanne et Moi, c'est bien.


Behind_the_Mask, qui écrit au pinceau.

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le 24 sept. 2016

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