Ce n'est pas une critique du film, mais un retour sur 3 films de Mankiewicz (donc je suis un peu hors sujet mais tant pis) :

Que le résultat soit un peu moins réussi, avec la « maison des étrangers », film de mafia, au sens famille, sympathique mais un peu balourd, où 4 frères se déchirent face au poids immense d’un père vampirique (Edward G. Robinson qui en fait des tonnes). Ou brillant avec les superbes « Chaines conjugales » et surtout « On murmure dans la ville », le visionnage est passionnant. Passionnant car ce sont à chaque fois des films différents (le sujet, le ton, le contexte varient) et intrinsèquement liés. Qu’il soit scénariste ou qu’il adapte une œuvre, Mankiewicz relie ses films entre eux et construit une œuvre profondément cohérente, rien de nouveau, soit, c’est le propre de tout grand cinéaste, dans laquelle il décline ses thèmes, ses procédés de mise en scène, ses figures de style, sans faire de la redite mais en les rendant complémentaire.
On murmure dans la ville et Chaines conjugales sont très proches. Dans les deux films il est question du passé, du souvenir d’un moment passé plus exactement. Moment que l’on se remémore car il redéfinit le moment présent. Fragment de mémoire qui intervient (à l’écran c’est souvent un flash back) au moment où le présent est en train de se dérégler. On cherche alors à se rappeler un certain moment passe, pour tenter de comprendre la situation actuelle et/ou pour franchir un obstacle afin de pouvoir continuer à avancer. Ainsi Max Monetti (dans la maison des étrangers) sort de prison, son père est mort, il est face à 3 frères qui le haïssent. Pourquoi en est-il arrivé là, comment changer la donne. Il se souvient de son père patriarche, des moments passés avec lui et ses frères pour tenter de comprendre.
Dans Chaines conjugales, 3 amies s’apprêtent à embarquer pour une croisière. Elles reçoivent alors une lettre indiquant que leur quatrième amie Addie est partie avec le mari de l’une d’entre elles.
Chacune à leur tour va alors se remémorer un moment précis, enquêtant au sein de leur propre mémoire pour tenter d’en desceller la faille, l’indice qui va leur permettre de comprendre.
Enfin, dans murmure dans la ville, c’est tout le passé du docteur Praetorius (génial Cary Grant) qui va refaire surface face aux accusations et aux suspicions d’un collègue jaloux de sa réussite.
Mankiewicz est un joueur, il s’amuse souvent à brouiller les pistes, à provoquer des bifurcations de sa narration, à falsifier le regard sur le récit et les éléments qui s’y déroulent, en donnant de vrais et de faux indices. Et ce jeu passe en partie par l’insertion du fantastique au sein du récit. Si ses films ne sont ouvertement jamais fantastiques, en tout cas ils ne basculent jamais (à part dans Mme Muir) de l’autre côté de la frontière, ils sont parsemés par des éléments, plus ou moins importants, qui contaminent le plan, le couvre d’un filtre brumeux, le maquille d’étrangeté. C’est le fantôme du père matérialisé par un portait encadré au mur (élément récurrent de sa filmographie), c’est l’évocation d’une amie qui restera hors champs tout le long du film (est-elle réelle ? est-elle une matérialisation de fantasmes, d’angoisses, de réussite,… ?), c’est l’ami du docteur Praetorius qui le suit partout (est-ce son double, un fantôme, un mort-vivant, un simple ami,..).
Pour participer à ce jeu, le cinéaste s’amuse à parsemer ses décors de petits choses étranges, des portraits, des miroirs, des masques (surtout ! ), des squelettes et des têtes de mort.
Loin de n’être là que pour un effet de style factice, ces éléments, ce faux fantastique, participent au dérèglement du présent, du passé, de ce que les personnages vivent, où pensent vivre. Et qui se déclenche au moment où l’intime et le public se croisent, se recoupent. Ainsi ces films avancent selon une double intrigue : une histoire d’amour (souvent en train de naitre) et un ancrage social qui se voit bousculer. Dans la maison des étrangers, cette histoire d’amour perce au sein de l’éclatement de la cellule familiale, elle–même ancrée dans une situation de post-immigration et d’ancrage sociétal plus large. Dans Chaines conjugales, Mankiewicz oppose, du moins superpose, la mort du couple (la peur de la mort du couple et du départ d’un concubin) à la réussite sociale ou non, des 3 femmes en question. L’une (ancienne soldat) n’a pas de belle robe pour aller en soirée, l’autre travaille à la radio (alors qu’elle aurait le talent pour aller plus haut) la troisième est pauvre et se sert de la réussite sociale d’un homme pour accéder à la Haute (cette troisième histoire étant beaucoup plus complexe que ça). Enfin, dans murmure dans la ville, face à la menace qui pèse sur sa situation sociale et sont statut de docteur admiré, nait une histoire d’amour avec une de ses patiente.
Tout ça se croise, se coupe, se recoupe, s’oppose, se complète pour finalement, se finir de façon optimiste. Et cet optimisme, cette libération, passe en majeure partie par la remémoration du souvenir, qui, plus ou moins enfoui, contaminait le présent.
Enfin, il y a dans les films de Mankiewicz cette grande importance accordée au dialogue, au mode d’expression, qui là aussi alterne entre l’élégant et le cru, le ronronnant et le cruel, avec un lot de sous-entendus, et qui sont aussi une manière de mentir ou non sur la situation que vivent les personnages en révélant plus subtilement leur fort intérieur.
Teklow13
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le 28 nov. 2012

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Teklow13

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