La chambre. Cadre de l’intime, de l’inconscient et des rêves. L’endroit où l’on se retrouve, où l’on se perd, où on s’aime, où on s’aimait. Ces derniers jours, Christophe Honoré nous a ouvert les portes de la Chambre 212 pour un voyage dans notre conscience et nos souvenirs.


Sur le papier, l’intention affichée par Christophe Honoré et sa démarche étaient des plus séduisantes. Parler des sentiments et de leur évolution au fil du temps n’a rien de nouveau, mais le cinéaste propose de le faire ici d’une manière assez originale et pertinente. Maria, femme décomplexée et vivant surtout dans la peur de vieillir, a trompé à de nombreuses reprises Richard, qui prône la fidélité et qui ne comprend pas sa femme. En choisissant de s’installer dans une chambre d’hôtel de l’autre côté de la rue, elle entame la séparation, qui parait inévitable, mais elle montre aussi son incapacité à se détacher. La chambre d’hôtel, simple lieu de passage, de transition, prend une dimension toute autre quand ses souvenirs se mettent à prendre vie devant elle.


En faisant vivre ces souvenirs devant nos yeux, en les incarnant, Christophe Honoré crée un pont entre la réalité et l’imaginaire, entre le rationnel et l’onirique. Cette incursion dans la réalité, qui peut être déstabilisante de prime abord, finit par devenir totalement naturelle et acceptée. Dans Chambre 212, passé et présent se mêlent comme si de rien n’était, avec une représentation des souvenirs à travers des personnages qui créent un décalage, mais qui, pourtant, appuie le propos réaliste selon lequel notre passé nous suit toujours. Ces décalages sont multiples. Par exemple, le Richard jeune a une vision de la vie tout à fait différente de celle du Richard plus âgé. Le regard de Maria sur la version jeune de Richard est également très différent de celui qu’elle porte sur le Richard plus âgé, tout comme sa perception des choses aujourd’hui fait qu’un autre décalage se crée entre sa vision des choses de l’époque aujourd’hui, et ce qu’elles étaient effectivement, à l’époque. Chambre 212 exprime ainsi, à travers toutes ces joyeuses dissonances, la malléabilité des souvenirs et des sentiments.


Dans sa volonté de parler du passé, Chambre 212 fait preuve de mélancolie, voire d’une certaine nostalgie, dessinant à travers tous ces souvenirs les chemins qu’auraient pu emprunter les personnages. En même temps, le film a également un côté théâtral qui lui confère beaucoup de spontanéité, notamment dans l’exploitation de ressorts comiques. Cela le rend très rafraîchissant et pertinent dans sa représentation du passé, de l’emprise du temps sur les sentiments, des choix que l’on fait ou que l’on ne fait pas… On est à la fois dans la tête de Maria et à l’extérieur, les frontières entre le for intérieur et le monde extérieur, entre la réalité et l’imaginaire, entre le passé et le présent, entre ce que l’on pense et ce que l’on vit, sont abolies.


Chambre 212 était séduisant sur le papier, et il l’est tout autant au cours de la séance et après. Il exploite la « magie » du cinéma pour suivre un parti pris original dans sa représentation des sentiments amoureux et de notre rapport au passé. On y retrouvera du Blier, du Allen, voire un soupçon de Bergman, qu’Honoré ne manque d’ailleurs pas de citer dans le générique, preuve de la présence, plus ou moins importante, de ces différents cinéastes dans ses sources d’inspiration. Chambre 212 est une autre bien belle découverte de cette année 2019 au cinéma, portée par une Chiara Mastroianni qui n’a pas volé son prix à Cannes. Chacun y trouvera des messages qui pourront lui parler, ce qui fut mon cas, dans cette nuit des plus étranges et étonnantes dans la chambre 212. N’hésitez d’ailleurs pas à y faire un tour si vous en avez l’occasion.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 15 oct. 2019

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