Des enfants, mais pour quoi faire? La question parait rude, gorgée d’incertitude, infortune et violente, mais pourrait être une véritable interrogation au regard de Chanson Douce de Lucie Borleteau. Inspiré d’une histoire vraie et adapté du roman de Leïla Slimani, le long métrage nous plonge dans le récit clinique et dramatique d’un couple, qui s’offre les services de Louise, qui deviendra la nourrice à domicile de leurs deux jeunes enfants.


D’emblée, la mélancolie s’empare de l’oeuvre et nous fait écouter la souffrance d’une mère (Myriam) qui voit sa vie tourner uniquement autour de couches et de comptines pour les enfants. Malgré tout l’amour qu’elle porte à ses deux bambins, elle souhaite être plus qu’une mère : elle désire être une professionnelle (avocate, son métier d’origine), une mère, une femme, une amante pour son mari etc. Retrouver un semblant de vie et d’identité. De quitter les cernes et le tablier pour porter à nouveau le costume de femme indépendante et dynamique. De ce fait, Myriam et Paul, son époux, vont engager Louise, qui semble être le profil idéal pour s’occuper des enfants. Femme propre sur elle, connaissant parfaitement les envies enfantines, tout en sachant bâtir un cadre éducatif. L’osmose semble idyllique.


Scène par scène, le film construit son cadre et nous propose le reflet de cette famille parfaite où, cependant, chacun doit rester à sa place (la scène sur les dates limites de consommation des produits pour les enfants nous le montre bien). Comme si le schéma ne devait pas faire dévier son trait. Minutieuse, Lucie Borleteau sait garder le cap et arrive à garder les zones d’ombre de son film, pour en tenir les ficelles. Un peu trop d’ailleurs. Pourtant, au fil du temps, au fil des minutes, la fée clochette va alors se muer en loup de la forêt, en prédateur à l’implosion imminente et il serait difficile de ne pas être impressionné par la prestation tout en rupture de ton de Karin Viard.


Ce conte à l’issue dramatique, dont l’architecture du scénario et la mise en perspective du fait social qui se dérobe sous l’enclos du cinéma de genre horrifique, nous fait directement penser à Jusqu’à la garde de Xavier Legrand. Mais la comparaison va un peu l’encontre de Chanson Douce. La peur et le mystère s’appesantissent, pour ouvrir les portes d’un climax ahurissant de terreur. Mais là où Jusqu’à la garde agençait son récit avec précision par le biais du regard de l’enfant, faisant mouvoir la vision de chaque personnage, qui faisait monter la tension crescendo, et nous éclaircissait petit à petit sur le mal qui gangrenait la famille, Chanson Douce, lui, prend le parti d’observer avec accointance son bourreau.


Droit dans les yeux, d’en faire un monstre ambigu qui se délite de soi même, et de vouloir en faire le symbole d’un marasme social sans précèdent. Car, au-delà du fait de nous narrer l’histoire d’une nourrice « sociopathe », qui semble vouloir entretenir une main mise sur les enfants, entre tendresse et autorité nébuleuse, entre véritable amour et réelle folie, Chanson Douce se veut aussi être un portrait assez tenu sur les enjeux sociaux et sociétaux de notre époque. La violence qui s’abattra en fin de film n’est, de manière malheureuse, que la simple répercussion d’une violence sociale de tous les jours. De façon consciente ou non, le film parait parfois empoté, corseté derrière cette envie de « montrer sans montrer », de rationaliser à outrance le cinéma de genre et objective à la fois les enfants qui ne servent que d’appâts narratifs, et les parents qui ne servent que de contre-emplois figuratifs, puis son univers, rendant le tout, parfois, extrêmement programmatique. Donnant par moments des interactions entre personnages purement schématiques. La finalité même du film, on la comprend, on la prend en pleine face, mais on a du mal à la vivre.


Louise, qui est Louise ? Une nourrice qu’on enferme dans le vernis de son métier. Une femme, qui n’en est plus une, vivant dans les bas fonds de la banlieue parisienne, à qui on parle comme un animal qui ne ne montre pas encore les crocs, qui suinte la frustration et l’envie de renouer avec l’effluve du désir. Elle est presque vue comme un objet du décor familial comme un autre. A l’image de cette scène durant les vacances familiales où les époux, pensant se faire une petite soirée en amoureux, vont devoir avoir Louise comme compagnie. Les deux, hilares, s’envoient des textos ne sachant pas quoi lui dire. Scène montrant une sorte de hiérarchie sociale, assez équivoque. Myriam et Paul, sont symptomatiques d’une forme de bourgeoisie : lui, producteur de musique, jouant le papa poule et laissant les taches ingrates aux autres. Elle, Myriam, tente tant bien que mal, de subvenir aux besoins de chacun, les siens, ceux de son mari et ceux de leurs enfants. Un couple qui se voit presque flagellé par la belle mère, lorsque cette dernière, leur rétorque qu’ils veulent tout – argent, soirée, enfant, belle vie – sans en ressentir les sacrifices, avec un discours sentant la vieille France. Presque en les qualifiant de lâches.


Mais que nous dit le film sur cette catégorie sociale? Difficile à dire. Que nous dit le film sur la peur des parents à entrevoir l’idée même de laisser leurs enfants à une personne qu’ils ne connaissent pas et qui intègre le foyer familial du jour au lendemain? Difficile à dire. Que nous dit le film sur la violence sociale occasionnée par la solitude et le manque de visibilité. Difficile à dire. A sa décharge, Chanson Douce, a cette grande qualité de ne pas y émettre de morale, à défaut d’y avoir un propos fort et assumé : démonstratif mais pas introspectif comme pouvait l’être Roma d’Alfonso Cuaron. Car même si l’agencement du malaise grandit au fur et à mesure, et que l’incompréhension entre chaque partie est de plus en plus tenue, le film semble lancer des pistes, sans vouloir y répondre, pour se consacrer finalement et consciencieusement à la figure mortifère de sa nourrice.


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Velvetman
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le 4 déc. 2019

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