Aout 2009, sans que personne - ou presque - ne l'est réellement vu venir, le sublime District 9 (oui, il l'est), frappée par la jolie mention " parrainé par Peter Jackson ", retournait complétement le petit monde de la SF d'anticipation, orphelin de Vraies péloches cultes et bricolées depuis beaucoup trop longtemps. Putain de morceau de cinéma, relecture intelligente et aussi référencée que personnelle de l’apartheid sous fond d'invasion extraterrestre, la bande, bourrée jusqu'à la gueule de qualités, avait réussi la prouesse de faire plier les critiques internationales tout autant que de rallier tous les cinéphiles du monde entier à sa cause, dans les salles obscures. Quatre ans et quatre nominations aux Oscars plus tard - dont celles du Meilleur Film et du Meilleur Scénario -, Neill Blomkamp avait la (trop) lourde tâche de revenir avec une nouvelle épopée SF ambitieuse confirmant tout le bien que l'on pouvait penser de lui.

Si pour beaucoup - la grande majorité soyons honnête -, Elysium ne fut qu'une occasion manquée de démontrer tout son immense talent, par chez nous, nous avions férocement adopté la puissante et désenchantée vision du monde futuriste désespéré et quasi-inhumain du second long métrage du bonhomme, offrant ni plus ni moins à Matt Damon, l'un de ses meilleurs rôles depuis longtemps (avec Ma Vie avec Liberace). Et alors que son nom fait méchamment le buzz en ce moment depuis qu'il s'est offert quasiment tout seul, les rênes d'un cinquième opus des aventures de Ripley contre les terribles xénomorphes, voilà que débarque le mystérieux et follement alléchant Chappie en salles, que le Neill a jalousement gardé à l'abri du regard des cinéphiles pour conserver l'effet de surprise d'une histoire pas si éloignée finalement, de son premier long qui lui aussi s'inspirait d'un de ces travaux de jeunesse. Version longue de son court métrage Tetra Vaal, qui ventait le mérite de faux droïdes policiers faisant régner la loi dans les bidonvilles sud-africains, le film suit l'histoire dans un futur proche, d'une population mondiale justement opprimée par ses brigades de polices robotisées. L'un d'eux, Chappie, se voit kidnappé et reprogrammé pour devenir le premier robot capable de penser et ressentir par lui-même. Mais des forces puissantes, destructrices, considèrent Chappie comme un danger pour l’humanité et l’ordre établi. Elles vont tout faire pour maintenir le statu quo et s’assurer qu’il soit le premier, mais surtout le dernier, de son espèce...

Difficile de ne pas comparer, après vision, le nouveau film de Blomkamp avec le merveilleux A.I. : Intelligence Artificielle de Steven Spielberg, dont il partage les mêmes thèmes majeurs (la mutation du corps et de l’esprit, l'intelligence artificielle et le rapport humain/machine, ou encore l'homme se prenant pour Dieu), mais surtout une densité dramatique proprement bouleversante. La violence que subit Chappie, incompréhensible pour son esprit d’enfant (une enfance pour le coup très accélérée) qui n'appréhende pas encore le bien du mal, nous touche autant en plein cœur que la douleur indescriptible qui frappa le jeune David, robot-enfant créer pour aimer mais abandonné par une famille ne lui trouvant plus aucune utilité au retour de leur Vraie fils. Anxiogène et d'une mélancolie poignante (jusque dans son final expéditif mais déchirant), le récit initiatique sous couvert d'un conte de fées au didactisme assumé mais au sujet profondément dans l'ère du temps qui caractérise Chappie, permet surtout au cinéaste de touché au sujet charnière de sa filmographie, l'indépendance et l'esprit de liberté face à l’assujettissement social d'une certaine élite (comme dans Elysium, cupide et apeurée) au sein d'une société désespérée et au bord du chaos, prenant de nouveau la bouillante Johannesburg comme terrain de jeu.

Métaphysique, modeste, parfois drôle et franchement pessimiste, d'une richesse narrative et visuelle impressionnante, le métrage est un blockbuster exigeant (et pour le coup loin d'être aussi accessible que le laisse présager son titre infantile) et intelligent qui interroge son spectateur aussi bien sur la condition du monde actuel (l’avancement technologique, le penchant pour l'ultra-sécurisation des nations) que sur sa propre condition d'être humain, tout en le divertissant à coups de scènes d'actions joliment spectaculaires. Dommage donc, que Blomkamp se soit laissé aller à quelques facilités scénaristiques, notamment dans sa caractérisation forcée de nombreux de ses personnages (ceux de Ninja et Yo-Landi en tête, le duo de rap sud-africain Die Antwoord), et un certain penchant pour une outrance visuelle et sonore qui laisse parfois de côté son spectateur dans son clin d’œil appuyé au Mad Max de George Miller. Parce qu'en dehors de ces menus défauts, son nouvel essai aurait très bien pu tutoyer du bout de la pellicule l'aura culte de son District 9, par le biais de cette chronique sur un enfant-robot presque enfant-soldat, follement attachant.

Surtout que si la présence du précieux Sharlto Copley manque cruellement à l'appel (il incarne en motion capture le héros robotisé), les excellents Hugh Jackman - magnifique en parfait salopard à la coupe de cheveux inédite pour l'interprète Wolverine - et Dev Patel - merveilleux en jeune ingénieur visionnaire - tirent vers le haut une œuvre par ailleurs magnifié par le score intense d'un Hans Zimmer en grande forme. Lumineux, d'un réalisme et d'une authenticité brute sans détour, Chappie est une critique offensive de l'homme contemporain qui tire une sonnette d'alarme salutaire contre ses nombreuses dérives (Cameron et son Terminator n'est jamais très loin), mais également un joli pied de nez à Hollywood et sa passion pour les remakes/reboot/prequel abusifs là ou Blomkamp s'amuse à nous conter ses propres histoires toutes plus originales les unes que les autres.

L'idée de le voir rentrer dans le rang pour cornaquer un nouvel Alien (ou il retrouvera la grande Sigourney) a donc tout du pari casse-gueule, mais follement alléchant. Vivement 2017...


Jonathan Chevrier
FuckCinephiles
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le 22 mars 2015

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