Une légion de critiques a vu en ce troisième film de Blomkamp un écho au précédent, Elysium, un blockbuster univoque étouffant. Cette frustration s’explique par l’envie, pour le public, de retrouver l’amateurisme stylisé du surprenant District 9, qui parvenait à distiller son militantisme pro-immigration. Chappie comporte son lot de pétarades dispensables, mais elles attendent la dernière demi-heure pour débouler. Auparavant, il étend un rythme efficace tout en s’attardant sur l’initiation de son personnage-titre, soit la carcasse d’un robot-flic à laquelle un créateur idéaliste implante une conscience.
Malgré une imagerie informatique assez grossière, l’univers décrit évite l’écueil du manichéisme. Les intervenants agissent moins par intérêt, machiavélique ou pacifique, que par pulsions, fonçant tête-baissée pour atteindre leur utopie, même si elle ne risque pas de leur profiter en définitive. Le déploiement de cet instinct primaire, on l’observe aussi au travers de l’apprentissage de Chappie. La machine suit ce qu’on lui inculque et décode le monde extérieur avec ces outils. Une certaine poésie mélancolique se dégage de son incompréhension, lorsqu’elle est lynchée par un gang de rue sans raison.
Quel plaisir de voir que le scénario ne lui fait pas bêtement recracher la violence subie. L’éducation de Chappie occupe la majorité de l’œuvre. Elle nécessite une dialectique progressive et identifie bien des troubles des êtres plongés prématurément dans une réalité corrosive. Pour ce regard acéré et l’interprétation bariolée de ses acteurs (surtout les membres du groupe Die Antwoord, qui contrebalancent l’impérialisme d’Hugh Jackman), Niel Blomkamp mérite une réhabilitation critique, qu’on lui pardonne ses explosions balourdes. L’industrie, elle, est loin de l’avoir éjecté : il sera derrière la caméra pour Alien 5.