Dès les premiers instants, le ton est donné : Stanley Donen va nous embarquer dans une comédie d'espionnage potache, genre avec lequel il n'a jamais vraiment fricoté auparavant. Après pratiquement deux heures de péripéties et de plot twists abracadabrantesques, force est de constater que le cinéaste ne fait pas que s'essayer au genre, il se l'approprie, y appose son style avec une joie pour le moins communicative. La faute à un sens du rythme toujours impeccable, des dialogues ciselés et percutant, et surtout cette brochette d'acteurs pour les déclamer.
Je me sens presque obligé de passer rapidement sur Matthau et Coburn, excellents en seconds couteaux, pour me concentrer sur Cary Grant et Audrey Hepburn. Bon sang, je sais qu'en 1963 c'était déjà un job tout ce qu'il y a de standard pour un directeur de casting de faire exploser la caution glamour de son film, mais là on atteint des niveaux encore inexplorés. Sur le papier, l'association des deux est presque aussi géniale et explosive que du Nutella avec du beurre de cacahuètes sur une gauffre bruxelloise. En pratique je me rappelle juste avoir passé une heure et quarante-huit minutes la bave aux lèvres et le slip complètement retourné, à la vue tantôt de Mister sexy pants universe 1946-1959, ici en retraité charmeur à en renvoyer George Clooney et Clive Owen dans les jupons de leur mère, tantôt Miss yeux de biche et frimousse espiègle, Oscar 1963 de l'expression surprise ; quand ces deux-là se retrouvent ensemble à l'écran, il y a plus que les étincelles qui éructent.
Au-delà de l'alchimie évidente entre les deux, le film est un pur produit de divertissement jouissif et rigolard comme seul Hollywood savait en produire il y a 50 ans. Donen est un malin cependant, loin de lui l'idée de balader son spectateur dans des chemins balisés. Avant que l'intrigue ne se détende comme un vieil élastique pour se boucler en vaudeville, on passera donc par le polar, le romantique, le thriller, l'espionnage et forcément le comique, parfois même dans la même séquence, à la faveur des 3000 retournements de situation qui parsèment le long-métrage. Chez n'importe quel autre cinéaste on pourrait craindre un immense gloubi-boulga indigeste de ringardise après le passage de tant d'années, ici au contraire tout y semble tellement 'en place' qu'il serait bien malvenu de ne pas y prendre du plaisir. Entre la vivacité du montage et les compositions inspirées de Mancini (ah, cette scène où Reggie retrouve son appartement vidé), Donen fait ce qu'il veut de son film et mène le spectateur par le bout du nez durant toute une intrigue qui jamais ne se dégonfle. Le pire, c'est que l'on n'en demandait même pas tant, obnubilés par cette ballade dans une Paris de carte postale (tournée en location réelle, quelque chose qui nous paraîtrait presque utopique aujourd'hui), on aurait pu se contenter des grimaces de Cary Grant (sérieusement, la scène de la douche, comment ai-je pu mettre autant de temps à voir ce film ?), et des minauderies faussement ingénues d'Audrey Hepburn (qui ferait, au choix, la plus intelligente ou la plus idiote des agents secrets, je vous laisse en juger). Mais non content d'être un excellent divertissement, Charade se devait aussi d'être un objet filmique de première classe. Dont acte.