Quand on a envie d'aimer un film tout en n'en attendant pas grand chose, les chances d'en tirer un minimum de satisfaction sont assez élevées. L'auteur de ces lignes n'attendait pas grand chose de Mortdecai, d'abord parce que le personnage du romancier Kyril Bonfiglioli lui était parfaitement inconnu, ensuite parce que le film avait des échos des plus médiocres… mais il avait envie de l'aimer, pour la raison citée à l'instant (par esprit de contradiction), parce que le "Depp-bashing" l'ennuie, et parce que la splendidissime Olivia Munn (The Newsroom) était censée y jouer une nymphomane. Par ailleurs, Dieu sait combien il peut être tolérant face à un pur produit de divertissement : comme preuve éclatante de son extrême tolérance, il avouera beaucoup s'amuser devant le Charlie's Angels de McG. Voilà précisément ce à quoi il s'attendait : un film tellement ridicule qu'il transcende son ridicule, et qui sublime l'air ahuri de Johnny Depp sur l'affiche, dans un festival décomplexé de ces trouvailles idiotes que les collégiens adorent.

Las ! Rares sont les films qui l'auront autant accablé ces dernières années que ce Charlie Mortdecai, catastrophe nucléaire dont l'écriture insipide, à peine relevée par une esthétique pop pas trop moche, est hélas aggravée par le cabotinage fatiguant d'un Johnny Depp en roue libre. Hop, une liste des plus et des moins… mais pour rire, parce que ce sera sans doute, essentiellement, une liste des moins.

LES PLUS :
- Un hommage distrayant, au début, à l'humour goofball anglais, avec l'énergie d'une succession de sketches du Saturday Night Live, et rappelant un peu, par sa ringardise, les adaptations ciné de La Panthère Rose avec Steve Martin. La musique d'ambiance en rappellera même l'archi-connu thème musical au détour d'une scène.
- Au milieu d'un océan de surjeu lourdingue, le dandy inconséquent campé par Johnny Depp parvient à arracher quelques rires de-ci, de-là. Après tout, l'acteur a une palette de grimaces suffisamment grande pour assurer le minimum syndical.
- Paul Bettany dans le rôle, sérieusement à contre-emploi, de Jock, homme de main de Mortdecai qui ne perd jamais le nord, alors qu'il s'en prend plein la tronche, y compris de la part de son patron parfaitement maladroit.
- L'Accent anglais "posh" de la toujours mimi Gwyneth, très réussi (plus que dans Shakespeare in Love, en tout cas…).
- La peinture de Winston Churchill en chien.
- Mortdecai arrivant à la soirée, prenant une coupe de champagne, en buvant une gorgée, et recrachant le tout en ajoutant "unremarkable".
- "Vous aurez peut-être le temps de vous taper Georgina, elle s'est déjà envoyée la moitié du personnel."
- Olivia Munn (Georgina, justement), qui est méga-bonne. Olivia Munn à cheval, aussi, situation qui la rend, assez étrangement, encore plus méga-bonne.
- La garde-robe de Gwyneth Paltrow. Enfin, on est content pour elle, quoi.

LES MOINS (là, ça rigole moins, déjà) :
- Sans être hilarante, la bande-annonce de Mortdecai, d'une durée d'à peu près deux minutes, laissait espérer qu'une fois entré dans le délire, le spectateur "pigerait" mieux l'humour. Résultat : Mortdecai, le film, c'est les cent-quatre minutes du film qui ne sont PAS amusantes. Ou une manière de dire que le potentiel fun du film ne valait pas davantage que la durée d'un court-métrage. C'est quoi, l'expression, déjà ? Ah oui : perte de temps.
- Un film de qualité pour une affiche affreuse à dessein, une affiche affreuse à dessein pour un film de qualité : voilà qui aurait été curieux, et aurait fait sens si le film avait été une plaisanterie brillante et suicidaire, un gag à plusieurs dizaines de millions de dollars. Au final, puisque Mortdecai n'est pas un film de qualité, son affiche est juste affreuse.
- L'amour d'un homme mûr pour sa moustache : pas vraiment une bonne idée de recurring joke… surtout quand on se met en tête d'en tirer un maximum de comparaisons ridicules (un mille-pattes, un vagin…si, si).
- Pour rester dans le registre de l'humour : la paresse exaspérante qui semble avoir présidé à l'écriture du scénario. Votre serviteur n'aime pas vraiment quand les gens utilisent cet argument, mais il se sent obligé de souligner la réaction glaciale du public dans la salle où il était. Une quantité substantielle de blagues laissent pantois tant on se demande comment la clique de gens intelligents aux commandes (Koepp a mine de rien écrit Jurassic Park, L'Impasse, Hypnose, Panic Room, ou encore le premier Spiderman !) a pu les laisser passer. Exemple : Mortdecai arrivant dans un hôtel en Californie, voyant des filles en bikini, et se croyant sur le tournage d'un film porno… Ajoutez à ça un léger et prévisible recours à l'humour scatologique, qui atteint son pic lors d'une crise de vomissement (sic), et vous êtes au top du top. Enfin, en gros, c'est juste pas drôle.
- Conclusion de l'humour : sans vouloir encenser l'esprit rosbeef, Mortdecai, c'est l'Américain balourd s'essayant à la finesse anglaise.
- Assumer à fond son côté cartoonesque en allant bien plus loin qu'il ne va, voilà comment Mortdecai aurait pu être drôle, éventuellement. C'est là sa faille mortelle : vouloir faire dans la comédie d'aventures goofball et excentrique sans s'en donner les moyens, pour au final rester sur le carreau, trop ridicule pour être pris au sérieux, mais pas assez pour devenir culte. On citait Charlie's Angels en introduction de cette critique: voilà un excellent exemple de film con et kitsch, certes, mais inspiré et décomplexé, si bien que sa radicalité dans le domaine lui a assuré une (très) certaine postérité, là où Mortdecai sera oublié d'ici jeudi. On peut citer également le petit culte Hudson Hawk (avec Bruce Willis, 91), four au box-office mais modèle d'aventure réjouissante de ringardise. La différence est sans doute que HH a été écrit par les scénaristes de Die Hard et Batman Returns, alors que Mortdecai, ben, par le scénariste de rien (chances pour Eric Aronson de retrouver du boulot à Hollywood : 0.00003%). CQFD.
- Une mise en scène aussi molle que dénuée d'inspiration. Un comble pour David Koepp, qui nous avait bien surpris avec le petit thriller horrifique Hypnose, il y a quinze ans.
- L'apparition du nom des villes en gros dans le décor à chaque déplacement : on a compris, David, on n'est pas con à ce point.
- La tentative ratée par Koepp et de son chef décorateur de reproduire un univers précieux et décalé à la Wes Anderson. La peinture de Winston Churchill en chien (citée dans les plus) est amusante, mais le reste, parfaitement terne.
- La médiocrité de la musique dans Mortdecai, crime de lèse-majesté dans ce type de film : on s'attendait à un enchainement de tubes de la pop anglaise fringante actuels ou des swinging sixties (même si l'action se situe de nos jours), à quelque chose du niveau d'un Austin Powers ; au final, on a une bande originale (dans le sens "écrite pour", on oublie souvent la signification de l'appellation BO) parfaitement oubliable conçue par deux grosses tâches (Mark Ronson & Geoff Zanelli), et tout juste le très sympa Johanna de Miles Kane pour se consoler alors que le générique de fin se déroule.
- La performance de Johnny Depp. Pas que Johnny soit si mauvais dans le répertoire comique : Tim Burton l'avait aidé à le prouver dans les années 90 (vous savez, à l'époque où il réalisait de bons films), et il l'a rappelé récemment en Indien lunaire dans le sous-estimé Lone Ranger. C'est juste que dans Mortdecai, il en fait trop à partir de dialogues trop mauvais. De fait, plus il en fait, moins son cabotinage est supportable. Et visiblement vampirisé par son acteur, David Koepp laisse son film se transformer en une sorte de one-man show grotesque. Pas que ce cas de figure signe nécessairement l'arrêt de mort d'un film, voir Robert Downey Jr. vampirisant Iron Man, qui ne s'en est pas sorti si mal, au final. C'est juste que là, c'était foutu d'avance.
- Puisqu'on a tout dit sur Depp et Koepp, un énième grief les rassemblant : le sentiment d'être laissé sur le carreau par deux vieux potes (Koeep avait déjà dirigé Depp dans Secret Window) trop occupés à s'amuser entre eux pour réfléchir à ce qu'ils font. De ce point de vue, l'acteur est malgré tout un peu responsable du désastre, ayant choisi un réalisateur pas vraiment approprié.
- Une intrigue policière tellement inepte qu'à la sortie du film, on ne saura pas vraiment dire de quoi ça parlait. "Quel trésor nazi ? Aaaah oui, c'est vrai, j'avais oublié la scène avec Himmler."
- Un casting de second couteaux qui ne sert absolument à rien ni n'est intelligemment exploité : Jeff Goldblum a une réplique amusante, et le grand Ulrich Thomsen, dont on profite bien grâce à la phénoménale série Banshee, apparait deux minutes sous une coupe de cheveux ridicule.
- Une Olivia Munn criminellement sous-employée, et même pas en petite tenue.
- En parlant de ça : de ce genre de film, qui renvoie à l'entertainment bien grossier des 70-80s, le pervers pépère est en droit d'attendre le quota minimum de petites tenues. Résultat, niet. Alors que le film est classé R aux États-Unis. Enfin, les américains et le sexe…

CONCLUSION : En deux mots comme en cent, Mortdecai, c'est la bérézina, un four aussi prévisible que mérité au box-office, et une honte dans la filmographie de toutes les personnes impliquées. Certains navires en perdition sont sauvés in extremis du naufrage par la sympathie qu'ils dégagent ; le présent film est BIEN trop paresseux pour mériter la moindre clémence. Après Transcendance (autre film où il partageait l'affiche avec Paul Bettany, d'ailleurs), Johnny Depp continue lentement mais sûrement son déclin tant commercial qu'artistique. Par sympathie, disons qu'on va oublier ce film.
ScaarAlexander
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le 24 janv. 2015

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