L'humour, le véritable humour porte un potentiel destructeur gigantesque. Bien entendu, l'humour que l'on a de nos jours est la conséquence de décennies passées à vouloir l’aseptiser, le rendre inoffensif, lui ôter tout pouvoir subversif. Mais quand on plonge dans certains films de Chaplin, on ne peut qu'être ébahi par sa force politique et son pouvoir ravageur.
Idle class en est un merveilleux exemple. Le cinéaste se base sur un procédé qu'il réemploiera plus tard dans Le Dictateur : il interprète deux personnages en même temps, un riche alcoolique qui délaisse sa femme au profit de sa seule véritable compagne, la bouteille ; et le Vagabond, The Tramp en VO, celui que l'on connaît sous le nom de Charlot. Un procédé qui lui permet de montrer, sous couvert de comédie, à quel point les classes sociales sont séparées par des des barrières infranchissables. Détruisant irrémédiablement les mythes du Rêve américain (ou de sa version française, l'ascenseur social), Chaplin démontre que tout est fait pour enfermer les gens dans leur condition sociale et qu'il est strictement impossible de monter socialement.
Les pauvres peuvent côtoyer les riches, par erreur ou pour les distraire, mais il ne faut pas exagérer : changer de monde est impossible. Plus facile d'aller sur la Lune que d'être accepté par les riches. D'autant plus que cette frontière est bien gardée : les forces de l'ordre s'en chargent, dont le but est de protéger les riches contre les incursions potentiellement dangereuses de hordes indigentes forcément malintentionnée.
C'est tout cela que l'on trouve ici, et bien plus encore. En une demi-heure, Chaplin nous livre un concentré très efficace de son génie : faire rire et émouvoir en même temps, et dresser un constat politique désabusé, donc réaliste (sans en avoir l'air). C'est le même Chaplin qui nous livrera Les Lumières de la Ville, assez identique dans le fond et la forme, et du même génie. Il y a là aussi la qualité majeure du muet, qui permettait de montrer des choses sans les dire, de façon beaucoup plus légère que ce qui se fera avec l'arrivée du parlant (à voir la carrière même de Chaplin, formidable dans le muet et devenant ennuyeux, lourd, voire indigeste en passant au parlant).
A noter la différence entre les titres français et américain du film, ou comment un titre franchement politique (idle class) devient bêtement un machin qui n'a qu'assez peu de rapport avec le film, mais qui a l'énorme avantage d'être désactivé politiquement.
Heureusement, Chaplin n'est pas aussi facilement réductible, et ce n'est pas pour rien si le dernier plan du film se clôt sur un gros coup de pied au cul !

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le 16 mai 2014

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SanFelice

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