Glaçant, mais pour quelle portée ?

En termes de registre cinématographique, "Chez nous" est une sorte de polar social, assez bien fichu mais pas transcendant non plus. Un scénario pas mal ficelé, du rythme, des rebondissements et une ambiance parfois angoissante, à travers notamment les longs panoramiques sur les paysage du nord de la France. Et des acteurs solides, Emilie Dequenne et André Dussolier en particulier...Mais le film est évidemment bien plus que ça, en raison des évidentes intentions de Lucas Belvaux et de la polémique qui en a découlé. Et c'est sans doute plus pour cela qu'il a fait salle comble cet après-midi, à Toulouse, bien plus donc en tant qu'objet politique qu'objet cinématographique.


Je l'ai trouvé particulièrement réussi dans sa ma manière de nous montrer les coulisses et le fonctionnement d'un parti d'extrême-droite, dont les diverses composantes sont très bien articulées dans le scénario : les cathos des beaux quartiers de l'ouest parisien, les notables de province propres sur eux (souvent des compagnons d'armes historiques) et enfin les brutes paramilitaires et adeptes de la ratonnade. Les premiers manipulant les seconds qui manipulent les troisièmes. Et l'ensemble s'entendant, jusqu'à un certain point du moins (ces gens là ont entre eux des relations plutôt âpres) pour manipuler la pauvre nunuche idéaliste qui assiste, impuissante, au déclin de sa petite ville du nord. Pas de lutte des classes chez eux bien sur, c'est discipline et patrie avant tout, mais les rapports de classes y sont bien présents. Et un peu comme partout ailleurs, ce sont les cravatés qui commandent. Ce pauvre type de Stanko étant probablement le plus sincère de la bande (dans laquelle je n'inclus pas Pauline, tout de même).


S'il est pédagogiquement parlant fort réussi (au sens de démontrer ce qu'est un parti fasciste), "Chez nous" pèche tout de même sur deux points. D'abord, il ne fait que survoler les causes de l'implantation du Bloc Identitaire dans ce coin du Pas-de-Calais. Certes on sent bien que la vie n'y est pas toujours rose, que les habitants s'emmerdent et sont sans perspectives d'échapper à la médiocrité du quotidien. Mais un peu plus de contenu social aurait certainement pu étendre la pédagogie vers des terrains plus inhabituels : le dépérissement économique, la fin du lien et de la solidarité dans le travail, par exemple. Le personnage du père de Pauline eut été un vecteur idéal pour cela; il a été à mon sens sous-exploité.


Ensuite, le parti-pris de coller le plus près possible au Front National est superfétatoire. Passons sur le fait que Catherine Jacob ne soit guère convaincante en Marine Le Pen (ses efforts pour paraître vulgaire la rapprochent finalement plutôt de Nadine Morano), le point est que sans que l'analogie ne soit poussée aussi loin le public aurait probablement malgré tout compris de quoi il était question. Alors que là on se demande même par moments si ce n'est pas de la condescendance de la part du réalisateur : on va vous mettre les points sur les i dès fois que vous soyez trop bêtes pour comprendre. Et ça s'avère en définitive plutôt contre-productif, la cible de Lucas Belvaux n'ayant pas manqué de se victimiser, comme elle sait si bien le faire, avant même la sortie du film en salle. Ce qui fait, je le crains, que seuls des convaincus verront ce film.

Marcus31
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le 26 févr. 2017

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Marcus31

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