Le pays des damnés

Lorsque j'aime un cinéaste, j'appréhende toujours le moment où j'aborde un nouveau film : vais-je aimer ou ce film va-t-il marquer une première désillusion ? Bon, j'en ai déjà eu avec Lucas Belvaux mais j'espère toujours qu'il n'y en aura pas d'autres. Ce qui est impossible. Nous passons tous par la case 'échec' régulièrement. Personne n'y échappe.

Ce qui m'a frappé avec ce film, c'est le traitement 'science-fiction'. Dans le fond, ce genre cinématique parle de notre société, et s'il peut paraître subtil à première vue, une fois qu'on remplace, par exemple, alien par russe, tout de suite, ça devient moins subtil. Le début de "Red Dawn" (2012) m'a fait le même effet, cette invasion par les airs rappellent curieusement une invasion extra-terrestre. Ici donc, il s'agit d'une forme de contamination. On pense à "Village of the damned" mais aussi à "Invasion of the Body Snatchers" à cause du comportement étrange de ces gens de droite ou encore par la manière dont l'héroïne va se transformer tout au long du film. C'est vraiment étrange.

Je craignais de voir un film politique mais je suis rassuré de voir qu'il s'agit avant tout d'un film sur un personnage (comme c'est souvent le cas avec Belvaux). D'ailleurs le trait caricatural montre bien que Belvaux se sert du contexte social pour installer son personnage ; c'est présent, mais c'est un fond, c'est surtout ce qui va permettre aux auteurs de jouer avec ce petit monde. Malheureusement, le traitement des personnages secondaires déçoit : soit ils sont trop présents soit ils ne le sont pas assez. Il en résulte l'impression d'inachevé pour certains qui vont et viennent au gré des auteurs.

Le récit est un peu trop dense, certaines scènes sont un peu rapides, heureusement, ces scènes-là servent en général à présenter une situation ; le développement est en général mieux traité. Sauf pour ce qui est de l'évolution finale de l'héroïne, évolution tant attendue, qu'on imaginait brutale et rapide en terme d'efficacité mais qui déçoit parce qu'il s'agit plus d'une facilité que d'une réelle évolution brusque. C'est dommage parce que les auteurs ont vraiment pris le temps de construire leur personnage, la déconstruction finale aurait mérité un traitement plus complet ou d'être justifiée par une scène plus brutale. Dommage aussi d'avoir résolu l'intrigue amoureuse de la sorte, j'attendais autre chose de la part de ce cinéaste qui n'a pas peur de l’ambiguïté. D'ailleurs on peut le féliciter pour mettre en avant les contradictions d'un système. J'ai lu un peu partout que Belvaux agissait en naïf pourtant il me semble redoutable pour montrer tout le paradoxe d'une situation épineuse.

D'ailleurs ce n'est pas 'que' un film anti-droite, au contraire, il permet au spectateur de comprendre ces gens, la première moitié, en dehors des manipulations faites par le parti, nous montre des gens pas trop écœurant. Quant à ceux de gauche ils sont montrés avec encore moins de subtilité.

La mise en scène est efficace. C'est quelque chose qui me fascine avec Belvaux, il s'améliore constamment, s'inspire de vieux films français et américains pour délivrer des points de vue intéressants, un découpage simple, un montage dynamique ; toujours, l'auteur va à l'essentiel, il montre ce qui doit être montré. Cela ne l'empêche pas de jouer avec le symbolisme ou la subtilité, mais toujours on comprend où il veut en venir. La musique fonctionne bien aussi pour marquer le malaise des situations. Et à nouveau je trouve que cela renforce le côté science-fiction du film.

Les acteurs sont bons. J'aime beaucoup Dussolier mais je le connais surtout pour son rôle de bonhomme un peu mou ou bien gentiment colérique. Ici, il m'a fait froid dans le dos (il a dû s'éclater avec ce personnage à contre-emploi de ce qu'il fait le plus souvent ces dernières années). Jacob est sèche comme il faut. Dequenne est toujours aussi merveilleuse (et en plus elle est bien roulée, même ses valoches sous les yeux me plaisent). Et puis toute une flopée de seconds rôles dont un habitué du cinéaste, tous jouent très bien, même les gosses.

Bref, j'ai passé un bon moment. La fin est un peu décevante, les personnages pas assez développés, le film trop court (30 minutes supplémentaires pour corriger tous ces défauts n'auraient pas été du luxe) mais globalement ça reste divertissant et prenant du début à la fin.