J'avais récemment laissé Akira Kurosawa dans un drame associant un médecin et un gangster, L’Ange Ivre (1948). Les personnages tentaient tant bien que mal de s’affranchir de leur condition tout en devant céder certains compromis, et c’est dans une certaine continuité que vient s’inscrire Chien enragé.


Nous retrouvons, en tête d’affiche, deux des acteurs fétiches d’Akira Kurosawa : Takashi Shimura et Toshiro Mifune. Cette fois, les deux hommes font équipe. Mifune est Murakami, un jeune inspecteur qui se fait voler son arme de service à son insu. Alors qu’il essaie de la retrouver, celle-ci est utilisée pour commettre divers méfaits. Quand l’arme s’avère impliquée dans un crime, c’est aux côtés du commissaire Sato, incarné par Takashi Shimura, que le jeune inspecteur plein de remords va devoir enquêter pour mettre fin à ces crimes, et savoir qui lui a volé son arme. Tout l’enjeu de l’enquête est de faire face à ses responsabilités, de réparer une erreur qui, issue d’une négligence, peut avoir des conséquences dramatiques. Mais tout cela s’inscrit dans une démarche plus large.


Nous pouvions déjà constater, dans L’Ange Ivre, une représentation du Japon d’après-guerre, où les individus cherchent des repères, et où, malgré un certain chaos ambiant, un ordre plus ancien régnait encore. C’est une vision d’un pays en ruines d’un point de vue matériel, mais plus vivant que jamais d’un point de vue humain, où la survie est la principale motivation des actes des individus. C’est quelque chose que l’on constatait déjà beaucoup à cette époque, notamment grâce aux œuvres des cinéastes néoréalistes tels que Roberto Rossellini, Luchino Visconti ou Vittorio de Sica, pour ne citer qu’eux, avec des films tels que Rome, ville ouverte (1945), Allemagne, année zéro (1948) et Le Voleur de bicyclette (1948). Tous les films associés à ce mouvement visaient à revenir à l’essentiel, à l’humain, dans un contexte particulier que fut celui du monde de l’après Seconde Guerre Mondiale. Akira Kurosawa choisit le genre policier pour Chien enragé, faisant de l’inspecteur et du commissaire nos guides dans ce tableau d’un Japon d’après-guerre propice au désespoir, aux errances et aux comportements ambigus, rappelant L’Ange ivre.


L’inspecteur Murakami se mêle à la population des bas-fonds, pour nous mettre face aux laissés pour compte et aux désespérés. Puis nous assistons à un match de base-ball pour retrouver un suspect. Nous allons aussi dîner dans la charmante maison du commissaire Sato. Tous les paysages, les classes sociales et les facettes de la société sont explorés à travers cette enquête. Tout cela se déroule en pleine canicule, dans une atmosphère étouffante et orageuse, comme pour alimenter ou apporter une représentation supplémentaire à ce climat riche en tensions. Kurosawa maîtrise d’ailleurs déjà très bien son registre pour apporter de la richesse et de la consistance à cette enquête qui nous tient en haleine, partant d’un fait paraissant anecdotique, pour se déployer progressivement.


L’intrigue policière, aussi captivante soit-elle, parvient à ne pas trop prendre le pas sur le discours plus sociologique livré par le film. Et l’inverse est également valable. C’est un film qui maintient un équilibre parfait, capable de décrire une société, une époque, tout en maintenant l’attention du spectateur au fur et à mesure que l’enquête progresse. Un film d’une grande richesse, à la postérité modeste, mais aux qualités indéniables.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 28 avr. 2020

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